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La partie inférieure de l’écorce est ordinairement employée pour les toitures ; on la fait chauffer, puis on la presse pour l’empêcher de s’enrouler. On obtient ainsi des plaques qui ont 1 mètre 60 centimètres de long sur 1 mètre de large et qui valent 40 centimes pièce. L’écorce de la partie supérieure et des branches est réunie en bottes, puis plongée dans l’eau, où on la fait rouir. On l’y laisse jusqu’en septembre, et après l’avoir fait sécher à une température élevée on la divise en rubans minces et déliés qu’on tisse ensuite au métier. Les nattes sont plus ou moins fortes suivant l’usage auquel on les destine, et le poids en varie de 1 à 3 kilogrammes. Les plus lourdes, qui sont aussi les plus solides, se vendent à la foire de Nijni-Novgorod 120 francs le cent. On évalue à 14 millions le nombre de nattes fabriquées annuellement, ce qui représente une valeur d’environ 8 millions de francs ; en ajoutant à ce dernier chiffre le produit des autres objets fabriqués avec la tille, on arriverait à un total de 12 millions de francs, ce qui permet d’apprécier l’importance de ce genre d’industrie. Le nombre des tilleuls annuellement abattus pour cet objet n’est guère inférieur à 1 million, et l’on conçoit qu’une si active consommation compromette dans une certaine mesure l’existence même des forêts de la Russie. En effet elles disparaissent avec une rapidité dont M. de Haxthausen en 1846 et M. Jourdier. En 1860 ont signalé les dangers.

Cette curieuse industrie n’est pas tout à fait inconnue en France ; on la retrouve aux environs de Paris, dans ce petit village de Coye, qu’on aperçoit du haut du viaduc de la Reine-Blanche, auprès de Chantilly. La population de ce village est exclusivement occupée de travaux forestiers. Pendant l’hiver, c’est l’exploitation des coupes qui réclame tous les bras ; pendant l’été, c’est la fabrication de ces petits fagots appelés margotins qu’on vend à Paris pour allumer les feux, et la manipulation de l’écorce de tilleul. Cette essence est si abondante en ces cantons, qu’elle a donné son nom à la forêt de Chantilly ; elle s’y rencontre ordinairement mélangée avec le chêne, le charme et le bouleau, et forme avec ceux-ci des taillis qui sont exploités à l’âge de vingt-cinq ans. Les tilleuls sont laissés sur pied jusqu’au moment où la sève commence à se mettre en mouvement, on les abat alors, et on en détache l’écorce avec la plus grande facilité dans toute la longueur du brin. Après un séjour plus ou moins prolongé dans l’eau, cette écorce est découpée en petites lanières de l’épaisseur d’un doigt et de 1m30 de longueur, qui servent de liens pour les gerbes de blé. Ces liens, réunis en bottes, sont expédiés par millions dans les contrées agricoles de la France, où on les préfère, pour la solidité et la souplesse, aux liens de paille.