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PROSPER RANDOCE

première partie


I.

Didier de Peyrols sortit vers dix heures du théâtre royal de Berlin. La nuit était froide, mais claire ; il se promena longtemps sous les Tilleuls. Ce soir-là, on avait donné Hamlet. La représentation avait bien marché. Hamlet s’était distingué, Ophélia avait eu bonne grâce dans sa folie, le grand carnage final s’était accompli sans malencontre. Entre tous les chefs-d’œuvre de l’art dramatique, Hamlet était celui que préférait Didier : non qu’il trouvât dans cette pièce plus d’art ou plus de génie que dans le Cid ou dans Britannicus ; mais elle parlait puissamment à son cœur et à sa pensée. Il ne se lassait pas de la relire, puisant à cette source intarissable des émotions toujours nouvelles. Depuis des années, il rêvait de voir représenter le chef-d’œuvre qu’il savait par cœur. Son rêve s’était enfin réalisé, et l’espérance longtemps caressée avait tenu toutes ses promesses.

Didier était aussi capable qu’un autre d’admirer de beaux vers ; il avait l’esprit cultivé, le goût exercé, l’oreille juste et délicate. Cependant ce qu’il cherchait dans la poésie, c’était moins l’art lui-même que la peinture inspirée de la vie et des hommes ; elle était pour lui moins une fête de l’esprit qu’une sagesse supérieure, une sorte de révélation. En lisant les poètes, il aspirait à se mieux connaître, il se cherchait dans leurs fictions, et si Hamlet était l’objet de ses préférences, c’est qu’il y avait en lui, le dirai-je ? un peu de cette étoffe dont sont faits les Hamlet.