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On se flatta de l’idée qu’au seul aspect des nouveautés françaises le Chinois, que l’on se représentait volontiers les mains pleines d’or, accourrait, admirerait, achèterait, et ne laisserait plus que l’embarras de suffire à une consommation trop active. On avait fait erreur de tous points. La population est pauvre dans les villes comme dans les campagnes, où la propriété est généralement très morcelée. Presque toujours le paysan, endetté vis-à-vis des courtiers de commerce chinois, se voit contraint de leur conserver sa clientèle. D’ailleurs le mandarin est là. Les courtiers lui paient une redevance et restent à ce prix maîtres du marché. Les gens du même métier dans la même province sont comme à Yédo organisés en corporations qui trouvent dans les nombreuses banques indigènes des facilités de crédit, et conservent par leur nombre, par leur connaissance du pays, par leur union, par la protection des autorités locales et la sympathie de leurs concitoyens, les moyens de lutter contre les étrangers. Le commerce anglais, disposant de grands capitaux, s’en est habilement servi. Il a organisé de puissantes maisons de banque sur les côtes. Ses magasins énormes, aussi luxueux que des palais, ont frappé de respect le Chinois, très courtisan de la richesse, et qui, comparant ces somptuosités à la malpropreté des boutiques où se tiennent ses compatriotes, s’est senti disposé à s’incliner devant cette supériorité visible. Sur les côtes, les Anglais, connus et craints déjà depuis longtemps, ont en outre pour auxiliaire l’inspectorat étranger des douanes, qui se compose en majeure partie de fonctionnaires anglais, et que dirige un sujet anglais, M. Hart. Cet inspectorat des douanes a rendu d’immenses services au gouvernement chinois. Conduit avec honnêteté et intelligence des affaires, il a fait cesser les concussions des mandarins, et verse annuellement dans les caisses du trésor chinois des sommes considérables. Dans l’intérieur, où cet appui leur manque et où leur nom n’avait guère pénétré, les Anglais ont su intéresser une partie du commerce chinois à leur succès en s’adressant aux courtiers indigènes, dont ils acceptent l’intermédiaire dans toutes les transactions, seul moyen d’éviter les tracasseries des mandarins. Ils savent céder aux habitudes locales, et là où la force leur manque, ils se gardent de froisser certaines susceptibilités. Le ministre d’Angleterre et celui des États-Unis à Pékin acceptent, pour ceux de leurs nationaux qui commerceraient dans l’intérieur, l’obligation de ne loger que chez leur associé chinois, s’ils en ont un, ou dans leur barque de voyage. On sait qu’en Chine les canaux et les rivières remplacent presque partout les routes de terre, que le prix élevé du sol tend à rendre aussi rares et aussi étroites que possible. Les marchands anglais se soumettent à ces exigences plutôt que