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le plaisir des dieux ; apprenez à vous donner la fièvre. » — « On est ce qu’on est ; vous ne me referez pas, » lui répondait le jeune homme, enhardi par l’absence de son père. Quelle que fût sa bonne volonté, le grisolleraient d’une alouette lui semblait avoir plus de sens que toutes les sagesses paternelles.

Quand Didier fut à l’âge où l’on se choisit une carrière, M. de Peyrols, qui, bien que gentilhomme et riche, n’entendait point avoir mis au monde un oisif, consacra quinze grands jours au moins à lui tâter le pouls, à l’ausculter, afin de s’assurer quels étaient ses goûts, s’il n’avait point quelque vocation secrète. Il lui fit passer en revue tous les états, les lui montrant par leurs beaux côtés et s’efforçant de surprendre en lui une préférence. Quoi qu’il lui proposât, Didier ne répondait ni oui ni non ; point de goûts prononcés, point d’antipathies décidées. « Moitié figue, moitié raisin! » s’écriait son père en hochant la tête. À vrai dire, Didier était né avec les dispositions les plus heureuses, avec une grande ouverture d’esprit ; il apprenait tout comme en se jouant, et dans une certaine mesure il s’intéressait à tout ; il avait une égale aptitude pour la botanique et la jurisprudence, pour les arts et la chimie ; il était quelque peu musicien, dessinait avec goût, s’entendait à lever un plan, s’aidait d’une alidade comme un arpenteur juré, se démêlait sans trop d’effort d’un problème épineux de mathématiques, lisait couramment Leibnitz et Poisson ; mais ce qui lui plaisait en toute chose, c’étaient les idées générales, la pure théorie, ce qui s’adresse à l’imagination ou à la pensée, et il avait découvert que dans chaque art, dans chaque science, il y a une partie de métier qui le rebutait. Il est certain que, pour être un savant ou un artiste, il ne suffit pas d’avoir le sens du beau ou du vrai, le génie de l’invention ; il faut avoir étudié patiemment les procédés, s’être fait une méthode, il faut en un mot savoir son métier. Il y avait dans Raphaël un sublime manœuvre, et l’homme le plus passionné ou le mieux inspiré ne saurait persuader une foule ou un jury, s’il n’est arrivé par un labeur opiniâtre à posséder la mécanique de son talent. Or tout ce qui était secret de métier inspirait à Didier une insurmontable répugnance. Aussi était-il condamné à n’être qu’un dilettante dans tous les genres.

Cependant, par complaisance pour son père, -il consentit à se reconnaître une vocation marquée pour le droit, et il s’en alla bravement faire ses études à Paris. Il passa ses premiers examens de la façon la plus brillante. M. de Peyrols, dont l’imagination ne s’arrêtait jamais en chemin, rêvait déjà pour son fils les premières dignités de la robe ; mais la troisième année, au milieu de l’hiver, Didier reparut inopinément à Nyons, le teint défait, les yeux et les