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été sincère, car il savait que le sentiment allemand se prononcerait énergiquement sur ce point et au besoin lui forcerait la main.

L’affaire du Luxembourg a été résolue, il n’y a plus qu’un petit nombre d’Allemands qui regardent l’évacuation de la forteresse comme une humiliation nationale ; mais le souvenir de toute cette affaire a fortifié en Allemagne une idée déjà ancienne, et qui peut d’un jour à l’autre devenir funeste au maintien de la paix : c’est la conviction que l’empereur Napoléon est décidé à faire la guerre, et qu’il n’attend pour cela qu’une occasion favorable. Cette idée s’est emparée de tous les esprits depuis 1859 ; auparavant l’auteur de la guerre de Crimée était regardé comme le champion des opprimés, comme le protecteur de l’Allemagne contre la Russie. Les faiblesses du gouvernement français en 1866 n’ont pas ébranlé cette conviction, on savait qu’il n’était pas prêt, et la défiance du germanisme a été bientôt confirmée par les vaines tentatives du cabinet des tuileries pour acquérir successivement Mayence, Landau ou Luxembourg. Les Allemands, plus occupés chez eux, connaissent moins la France depuis quelques années. L’admirable éloquence de M. Thiers a naturellement eu un grand retentissement au-delà du Rhin ; mais les Allemands n’ont retenu de ses discours que les expressions les plus absolues contre le mouvement unitaire, sans songer qu’elles eussent été sans doute bien différentes, si ce mouvement n’avait pas eu pour auxiliaire la force et la violence, et sans tenir compte ni du point de vue particulier auquel s’était placé le grand orateur, ni du reste de la discussion illustrée par ses paroles. Après avoir cherché la pensée du gouvernement dans les articles du Constitutionnel, les Allemands ont cru trouver dans les colonnes de quelques feuilles fondées récemment à Paris le sentiment unanime de toutes les nuances du parti libéral français ; on a cru, on croit encore que, si l’empereur est personnellement désireux de faire la guerre à l’Allemagne, il y est également poussé par les passions belliqueuses du peuple français, et on se dit alors que, si la guerre est inévitable, mieux vaut l’avoir tout de suite, mieux vaut la faire courte et bonne pour sortir de l’inquiétude actuelle que d’acheter une tranquillité éphémère par des concessions à un voisin qui n’est pas de bonne foi. De là non pas le désir de provoquer la guerre, mais nul esprit de conciliation pour l’éviter. Tout en la déplorant, on s’y résigne comme à un mal nécessaire, et une fois commencée, pour en avoir fini plus tôt, on la fera avec passion. L’Allemagne ne pousse pas M. de Bismark à la guerre, elle lui sera même reconnaissante s’il l’en dispense ; mais elle lui met entre les mains les moyens de l’allumer et de la soutenir.

La paix de l’Europe dépend donc aujourd’hui des intérêts de la politique prussienne. Quelle est cette politique ? M. de Bismark veut que l’on croie qu’il a usé jusqu’aux dernières limites de son influence pour empêcher la guerre d’éclater à propos du Luxembourg. De même l’année dernière il a su persuader aux souverains dépossédés par la Prusse que