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température élevée des eaux qui longent à l’ouest la côte groënlandaise. En effet, jusqu’à près de 2,000 kilomètres de l’entrée, les parties de la mer de Baffin rapprochées du Groenland ne sont jamais, même dans les hivers les plus froids, entièrement obstruées par les glaces. Des formidables glaciers de la baie de Melville, les plus vastes et les plus épais que l’on connaisse dans l’hémisphère boréal, se détachent d’énormes pans, d’un volume de plusieurs milliards de mètres cubes, qui refroidissent au loin la mer dans laquelle ils plongent, et cependant l’eau maintient toujours sa température au-dessus du point de congélation ; elle reste à l’état liquide même lorsque le mercure gèle dans les baromètres, et l’on ne cesse d’entendre le clapotis des vagues contre les blocs flottans. Aussi les baleiniers et les explorateurs de l’archipel polaire ne manquent-ils jamais, pour remonter vers le nord, de faire suivre à leurs navires la route, relativement facile, qui longe la côte du Groenland. Jusqu’à l’entrée du Smith-Sound, de ce détroit toujours rempli d’un effrayant chaos de glaces entassées, les flots du courant riverain ne cessent de couler librement. C’est là que se trouve le « bassin bouillonnant » des Esquimaux, où, grâce à la douce température, surabonde la vie animale. Les baleines et les morses s’y promènent en bandes, les méduses et autres animaux marins y pullulent ; dans le voisinage des côtes, tous les écueils sont tapissés d’algues, de gracieuses prairies se montrent à la base des promontoires, des myriades de papillons voltigent autour des fleurs. Hayes, ravi par l’étonnant contraste qu’offrent ces rivages comparés à ceux des terres voisines, en par le comme d’un « paradis. » On ne saurait donc mettre en doute l’existence de cet émissaire du gulfstream qui par la douce température de ses eaux porte ainsi la vie dans la terrible région des glaces. Les tribus d’Esquimaux qui habitent les côtes baignées par ce courant, à plusieurs centaines de kilomètres au nord de toute autre plage habitée, jouissent même d’une véritable abondance, et c’est aux ressources obtenues dans ces parages que les deux grands explorateurs américains, Kane et Hayes, doivent de n’avoir pas misérablement péri pendant leur hivernage.

On le comprend, si la véritable origine d’une branche aussi importante du courant du golfe a pu rester longtemps inconnue, précisément dans une mer où se sont succédé tant de voyages scientifiques de découvertes, à combien plus forte raison faut-il s’attendre à des erreurs du même genre relativement à tous les courans des parages moins explorés ! Dans l’Atlantique boréal, les mouvemens des eaux sont étudiés avec soin à cause de l’intérêt de premier ordre qu’ils offrent aux navigateurs, dont ils accélèrent ou