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l’espace compris entre les cirques des plateaux neigeux et les promontoires extérieurs, le relief primitif n’a que faiblement changé ; les alluvions terrestres apportées par les torrens n’ont comblé qu’un petit nombre de vallées, et les bases des îles et des caps, plongeant trop profondément sous les eaux, n’ont pu servir de point d’appui à des alluvions marines semblables à celles qui s’étendent sur les côtes basses. Les rocs isolés, que les glaces entouraient jadis comme elles entourent aujourd’hui le « jardin » du Mont-Blanc, se dressent maintenant au milieu des eaux, mais ils n’en sont pas moins des saillies du relief continental ; sur des côtes plus basses, où le jeu des alluvions marines peut facilement s’accomplir, ils seraient depuis longtemps déjà rattachés à la terre ferme.

Parmi les îles qui doivent être considérées comme de simples dépendances des grandes terres voisines, il faut aussi ranger non-seulement celles qu’ont élevées des alluvions marines ou fluviales, mais également celles qui sont dues soit au soulèvement, soit à l’affaissement graduel du sol. Ainsi la chaîne de dunes insulaires qui défend le littoral de la Frise et de la Hollande contre les assauts de la Mer du Nord, de Wangerooge au Texel, est bien certainement un reste de l’antique littoral, et c’est elle encore, bien mieux que les rivages à demi noyés du Dollart et du Zuyderzée, qui marque la véritable limite entre la terre et les mers. Par un phénomène inverse, les côtes de la péninsule Scandinave, qui s’exhaussent lentement au-dessus des flots, se sont enrichies d’îles nouvelles pendant le cours de l’époque géologique actuelle. Dans le dédale des fiords norvégiens, dans les Lofoden, dans l’archipel de Quarken, des écueils cachés sont devenus des roches visibles, puis des îles étendues où les algues ont été peu à peu remplacées par la flore terrestre. Tandis que le continent empiétait sur la mer, les îlots surgissaient çà et là et s’étalaient au loin sur les eaux comme les feuilles de quelque plante gigantesque. Les roches insulaires montent lentement du fond de l’océan, soulevées par la même force qui redresse le continent voisin. D’ailleurs pareil phénomène ne s’est pas accompli seulement sur les côtes de la Scandinavie. Peut-être même la grande île d’Anticosti, qui s’étend dans le golfe Saint-Laurent sur une longueur de plus de 200 kilomètres, est-elle une de ces terres lentement exhaussées, car, d’après le témoignage de Henry Yule, on ne verrait dans les vallons granitiques de ses collines ni serpens ni batraciens comme sur les côtes voisines du Labrador et du Canada. S’il en est vraiment ainsi, on ne pourrait guère admettre qu’Anticosti ait jamais été en communication avec le continent d’Amérique : elle a dû surgir des eaux comme les îlots du littoral Scandinave.