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fut là aussi toute l’exposition ethnologique de Moscou, produit bizarre du génie slavo-néo-byzantin, œuvre puérile et rusée, grotesque et sérieuse à la fois, et dont la première pensée remonte à 1864. On était alors au lendemain de l’insurrection polonaise, au lendemain de la fatale intervention diplomatique qui n’a fait que grossir les flots de sang et de larmes sur les bords de la Vistule et de la Wilia. Aux remontrances platoniques de l’Europe en faveur de la Pologne, la nation russe avait répondu par une formidable explosion de haine et de vengeance ; aux timides insinuations d’une autonomie pour l’antique royaume des Jagellons, elle avait opposé avec rage le principe de « l’unité et de l’intégrité de l’empire. » Ce fut précisément comme un des moyens d’affirmer ce principe et de le proclamer hautement à la face du monde que la Société des amis des sciences naturelles de Moscou, proposa d’organiser une exposition ethnologique qui représenterait les « types » divers des peuples réunis sous le sceptre du tsar, avec leurs costumes, leurs armes, leurs ustensiles domestiques, leurs habitations, leurs flores, — avec tout ce qu’un Bias boréal des rivages du Volga ou de l’Irtiche pouvait porter sur lui comme philosophique enseignement à l’adresse d’un Occident relâché et fanfaron. On voulait ainsi se donner le réjouissant spectacle de l’immensité et de la magnificence de la patrie, offrir l’image réduite de la sainte Russie aux adorations des fidèles.

Il faut bien le dire cependant, l’ingénieuse conception de la Société des sciences naturelles n’eut point de prime abord tout le succès désirable. Assez favorablement accueillie par quelques lettrés et fins connaisseurs, elle laissait les masses indifférentes et préoccupait peu le public ; elle languissait visiblement et s’acheminait même peut-être vers le néant, quand les événemens de 1866 vinrent tout à coup lui donner un relief, une faveur inespérée, un souffle bien autrement vigoureux et vivace. Le projet primitif subit alors une transformation, une transfiguration, magique. A l’exposition russe se substitua inopinément l’idée d’une exposition slave, d’une démonstration éclatante en faveur de l’unité des enfans de la même et grande race, et l’enthousiasme devint général. L’empereur et l’impératrice offrirent des sommes considérables pour subvenir aux frais d’une entreprise si éminemment nationale, le grand-duc Vladimir en accepta la présidence honoraire, de hauts dignitaires de la cour et de l’église se chargèrent de la direction intelligente. Des appels chaleureux furent adressés aux Slaves de l’Autriche et de la Turquie, aux frères tchèques, ruthènes, serbes, etc., pour contribuer à l’œuvre « scientifique » par l’envoi de leurs costumes, armes, ustensiles et photographies ; les sociétés historiques, géographiques, peu ou prou savantes de Prague, de