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de la manifestation au jour. Grâce au savant commentaire qu’en publie, en ce moment M. de Rougé, nous commençons à pénétrer dans le dédale de cette mythologie compliquée, toute hérissée d’un symbolisme qu’il a fallu sa rare sagacité pour débrouiller. Une révision de ce livre fut exécutée à une date qu’on ne saurait exactement désigne, mais qui ne paraît pas antérieure à la XXVIe dynastie. Le rituel renferme des parties beaucoup plus anciennes et remonte certainement à 3000 ans et plus avant notre ère. Divers témoignages placent la rédaction des principaux chapitres sous le règne de Ta-ta-ti, de la première dynastie, et on rencontre en effet surgelas monumens antérieurs à l’invasion des peuples pasteurs des textes qui se retrouvent dans ce livre funéraire.

La foi dans la mythologie que je viens d’exposer ne s’ébranla pas en Égypte pendant toute la durée de la domination pharaonique ; elle paraît au contraire s’être fortifiée de plus en plus. La liturgie se chargea sans cesse de formules et de rites nouveaux ; les fêtes en l’honneur des dieux devinrent innombrables. C’est au reste l’histoire de presque toutes les liturgies ; loin de se simplifier, elles vont toujours se grossissant de dévotions nouvelles, de nouveaux actes d’adoration. La nature du polythéisme égyptien se prêtait d’ailleurs merveilleusement à ces additions ; il pouvait sans cesse ajouter des dieux, la nature étant illimitée dans ses manifestations. Une pareille multiplicité de dieux obscurcissait la notion de l’unité divine, mais elle ne l’effaça pas complètement. Cette notion faisait-elle originairement le fond de la religion des bords du Nil, ou s’est-elle dégagée du mouvement des idées ? C’est ce qu’il est encore impossible de décider. Le certain, c’est qu’elle remonte très haut en Égypte ; elle apparaît nettement à celui qui écarte le cortège de divinités diverses dont on a entouré la Divinité suprême et qui ne sont que les personnifications de ses attributs. C’est ce qu’avait reconnu un auteur alexandrin, Jamblique, dans son traité des Mystères des Égyptiens. « Le dieu égyptien, écrit-il, quand il est considéré comme cette force cachée qui amène les choses à la lumière, s’appelle Ammou ; quand il est l’esprit intelligent qui résume toutes les intelligences, il est Émeth (Imhotep des textes hiéroglyphiques) ; quand il est celui qui accomplit toute chose avec art et vérité, il s’appelle Phtah ; enfin, quand il est le dieu bon et bienfaisant, on le nomme Osiris. » Des témoignages bien antérieurs à Jamblique prouvent que la croyance à l’unité divine était l’essence de la théogonie égyptienne dès l’ancien empire et les premiers temps du nouveau. Une stèle du musée de Berlin, de la XIXe dynastie, nomme Ammon le dieu « seul vivant en substance ; » une autre stèle de la même époque le qualifie de « seule substance