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Osiris, le dieu-bon et bienfaisant, était, au dire des docteurs égyptiens, descendu au milieu des hommes, et, pour leur salut, s’était abaissé jusqu’à l’humble condition de la brute. Par un miracle spécial, la vache qui avait donné naissance à Apis était demeurée vierge. Phtah, la sagesse divine personnifiée, avait pris la forme d’un feu céleste pour féconder la vache ; mais le miracle ne s’était pas accompli qu’une fois : il se renouvelait à la mort de chaque Apis, et le veau où s’incarnait Osiris à nouveau était reconnus comme le bouddha, aux signes particuliers qu’il portait sur le corps[1].

Ainsi une zoolâtrie purement symbolique dégénéra en une idolâtrie abjecte, et au lieu de s’adresser à Un Dieu unique, incréé, éternel, les adorations des Égyptiens s’adressèrent à des bœufs, à des boucs, à des chats, à des ibis. Cette superstition révoltait les étrangers, et Juvénal s’écriait avec mépris :

Quis nescit, Volusi Bithynice, quaila démens
Ægyptus portenta colat ?

À cette superstition venait se joindre le fanatisme. L’attachement qu’avait pour ses dieux l’habitant de chaque nome lui faisait regarder comme des sacrilèges ceux des nomes voisins qui, honorant d’autres divinités, immolaient et mangeaient les animaux qui étaient à ses yeux des incarnations divines. De là des haines, des rivalités religieuses de province à province dont nous par le ce même Juvénal :

Odit uterque locus, quum solos credat habendos
Esse deos quos ipse colit,

divisions dont la politique des rois tirait profit, parce qu’elles empêchaient qu’il ne s’ourdît entre les diverses provinces des complots pour échapper à leur autorité, tandis qu’eux, images vivantes d’Osiris[2], la seule divinité commune à toute l’Égypte, recevaient les hommages de tous les nomes à la fois.

Nulle part l’empreinte du génie théocratique de l’Égypte n’est plus marquée que dans l’art. C’est pour le culte avant tout que la pierre, est taillée, sculptée, décorée de peintures, qu’elle s’amoncelle en ouvrages gigantesques. Partout la dévotion conduit la main de l’artiste. Les temples nous offrent à peine une statue de dieu qui ne porte pas la trace d’une consécration, c’est-à-dire qui n’ait pas été érigée pour appeler les bénédictions célestes sur le personnage qui l’a fait exécuter. En élevant ces sanctuaires répandus à

  1. Voyez à ce sujet l’intéressant mémoire de M. Mariette sur la mère d’Apis (Paris 1856, in-4o), et mon article de la Revue du 1er septembre 1855.
  2. Aussi le dieu Osiris est-il représenté avec les attributs de la royauté, le fouet et le crochet, comme on peut le voir dans deux jolies statuettes de l’exposition égyptienne.