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que les textes égyptiens appellent les Anu, et qui sont manifestement les Anamim de la Genèse. C’étaient les véritables autochthones ; ils s’étendaient jusqu’en Nubie, et les pharaons eurent plusieurs fois à les combattre. Sous la IVe dynastie, on les trouve établis dans la presqu’île sinaïtique ; ils ont dû dans le principe occuper une partie du delta, car Héliopolis paraît avoir tiré de la présence de ce peuple son nom égyptien de An, porté également par Denderah et Hermonthis dans la Thébaïde. La Genèse fait encore mention de deux peuples dans cette région du monde primitif, les Patrusim (pluriel de Patros), nom qui semble emprunté à un mot égyptien, Ptores, signifiant pays du midi, et les Naptukim, c’est-à-dire habitans de la ville de Phtah, autrement dit Memphis[1].

L’Égypte a donc reçu, selon toute apparence, ses premiers habitans de l’Asie ; elle fut peuplée par cette race de Cham qui comprenait les tribus de la Palestine, de l’Arabie et de l’Ethiopie, personnifiées dans la Bible par les noms de Chanaan, de Cousch et de Phuth (Punt des textes égyptiens). Son antique civilisation fut conséquemment la sœur de celle qui éleva dans le pays de Chinâr la puissante Babylone et dans le pays d’Assour Ninive et Kalah. Sur les bords de l’Euphrate et du Tigre, comme sur ceux du Nil, les croyances religieuses ont été le principal et presque l’unique ressort de l’activité humaine. Dans l’une et l’autre contrée, le sacerdoce, étroitement lié à la royauté, donna naissance à une monarchie absolue qui prenait dans la religion son point d’appui et son autorité, et dont le gouvernement intelligent amena la société à un degré remarquable de culture et d’industrie ; mais cette civilisation théocratique, après avoir imprimé à l’homme un certain essor, l’arrêta dès qu’il voulut sortir du moule dans lequel elle l’avait façonné. Telle est l’histoire de toutes les institutions qui manquent de cette flexibilité nécessaire pour s’adapter aux transformations des croyances, des opinions et des usages ; elles finissent par étouffer ceux qu’elles ont d’abord fait vivre. Au lieu de conserver la force de la société, elles en hâtent la décadence ; elles sont comme les langes dont on enveloppe l’enfant pour le protéger à son berceau, et qui atrophieraient ses membres, si l’on ne prenait soin de les en dégager quand ils commencent à grossir.


ALFRED MAURY.

  1. La Bible désigne de même Thèbes par sa divinité, et l’appelle No-Amon (la ville d’Ammon).