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refus ; la liberté du veuvage n’ôtait rien à l’exercice de l’empire auquel elle prétendait. Saisissant les rênes du chevalier avec une douce violence, elle fit tourner bride à son cheval et emmena le captif dans un château, d’où elle sortit avec lui quinze jours après n’étant plus veuve. De ce mariage naquit le féodal, chevaleresque, et peu pacifique baron Robert Bruce, libérateur de l’Écosse et fondateur de la monarchie nationale et hautement indépendante. Il vivait à la cour d’Angleterre, où le retenaient certains soupçons d’Edouard Ier. Averti que le roi, dont le vin avait endormi la prudence, venait de prononcer sur lui de redoutables paroles, il s’enfuit de Londres durant la nuit comme un homme menacé de la mort. La neige couvrait le sol ; il partit avec des chevaux ferrés en sens inverse. Le premier homme qu’il rencontra en Écosse fut un lord Comyn, rival dangereux qui pouvait devenir un ennemi et un traître. Il le querelle dans une église, le blesse et le laisse achever par un de ses amis. Une fuite compromettante, un meurtre, un sacrilège, c’était plus qu’il n’en fallait pour le perdre. Robert Bruce chercha son salut sur le trône, et l’Écosse trouva dans le proscrit un grand roi. L’alliance de l’esprit féodal et de la nationalité fut scellée par le sang et consacrée par le malheur. Le frère de Robert Bruce, le mari et le beau-frère de sa sœur furent pendus et décapités par ordre d’Edouard. Trois des principaux barons subirent le supplice des traîtres, qui consistait à arracher au patient le cœur et les entrailles avant de le pendre au gibet. Jusque-là aucun sang noble ou normand n’avait été répandu par le bourreau. Entre tous ceux qui se groupèrent sous le drapeau écossais, la communauté des souffrances effaça la différence des origines.

Durant tout le XIVe siècle, les Écossais vécurent, sur la brèche, prenant part à nos victoires et à nos défaites, et, comme par une contagion de notre mauvaise fortune mal conduits quand nous l’étions nous-mêmes. Les drames historiques de Shakspeare rappellent en maint endroit le rôle de notre alliée, l’Écosse. Dans Henri V, un personnage rappelle ce vieux dicton des Anglais : « si vous voulez conquérir la France, Commencez par dompter l’Écosse. » Lorsque l’aigle anglaise fondait sur la France mal gardée, « la belette écossaise » venait se glisser dans son nid et dévorait la royale couvée. — L’Angleterre, dit encore le poète, était la ruche bien ordonnée, où toutes les classes des laborieuses et fidèles abeilles remplissaient leur devoir ; mais sitôt que le roi de la ruche prenait son essor pour des courses lointaines, les Écossais entraient au cœur du royaume ; « comme les flots dans une brèche ouverte. » Pendant cette période de l’histoire d’Écosse, la puissance de la nationalité naissante et celle de l’esprit féodal se font équilibre ; mais la première va