Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il faut indiquer, c’est la différence des institutions de l’Écosse et de l’Angleterre. L’Écosse, par exemple, n’a pas eu de charte des forêts ni de lois sur la chasse ; elle ne porte pas cette profonde marque de la tyrannie normande et du joug de l’aristocratie. Sa royauté n’était pas irresponsable, et les parlemens exprimaient leurs doléances sur la conduite des rois aussi bien que sur celle des ministres et officiers de la couronne ; l’expérience ne leur avait pas enseigné la fiction de l’inviolabilité. Ainsi que chez nous, les lois tombées en désuétude cessaient d’être des lois ; les citoyens ne pouvaient, comme cela arrive tous les jours en Angleterre, rendre leur force aux statuts séculaires en les invoquant. Par une autre ressemblance plus remarquable encore, leurs universités, organisées comme les nôtres, se divisaient en quatre nations ; elles avaient les mêmes classes d’étudians et leur donnaient les mêmes noms. Voilà autant de preuves visibles de nationalité. C’est au XVIIe siècle que l’Écosse devient le complément de la Grande-Bretagne. L’intérêt qui commandait aux deux peuples de ne faire qu’une nation, comme leurs deux territoires ne faisaient qu’une île, était évident. De profondes différences, l’inégalité de culture, une indépendance jalouse, la féodalité même, furent autant d’obstacles qui voilèrent cet intérêt durant des siècles. Tandis que l’esprit féodal en Écosse s’unissait au patriotisme pour augmenter l’éloignement entre les deux pays, d’un autre côté il poussait les rois d’Angleterre aux conquêtes continentales, au lieu de montrer à leur ambition l’œuvre réellement utile que leur avait préparée la nature. Esprit féodal, indépendance, inégalité, pauvreté fière, tout fut vaincu à la longue ou tourné à bien par la sagesse des deux peuples. La noblesse persuada aisément à l’Écosse de mieux accueillir les Anglais, quand les Stuarts finirent par se jeter dans les bras de la France, et l’Angleterre, ne songeant plus aux conquêtes lointaines, la conquête naturelle tomba d’elle-même entre ses mains. La fierté écossaise fut à couvert, puisqu’un roi d’Écosse parvint au trône d’Angleterre. L’indépendance fut maintenue autant que possible et dura un siècle encore avec le parlement d’Edimbourg. La pauvreté au moins relative céda volontiers la place à la richesse ; mais ce fut avec honneur. Ces divers obstacles une fois tombés, il ne resta plus devant les yeux des deux nations que l’intérêt commun, que durant tant de siècles elles n’avaient pas vu. L’Angleterre s’annexa l’Écosse comme l’Écosse s’était annexé les highlands, par la communauté des intérêts et non par celle de la race.


Louis ETIENNE.