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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/346

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politique, ceux du moins d’entre eux qui furent intelligens, tâchèrent de se rattacher les intérêts religieux et ne purent rien fonder. Si Hérode Agrippa Ier eût vécu plus longtemps, il eût à son tour échoué devant l’impossibilité de concilier les exigences absolues de la foi religieuse avec les conseils toujours relatifs de la saine politique. C’est la contradiction inévitable qui, à la fin, mine toutes les théocraties. Le peuple juif en était venu à ce point qu’il devait choisir entre la politique et la religion. Pour son malheur, il persista à les confondre. Ce qu’il faut toutefois ajouter à son honneur, c’est que la nation d’Israël mourut glorieusement, fièrement, comme peu de nations disparues ont su mourir, et que, si elle fut la victime de l’idée théocratique, elle en fut aussi l’héroïne immortelle et sublime.

A un autre point de vue, il faut pourtant reconnaître que, par suite de cette fatale confusion, le peuple juif a failli à sa mission historique. Il devait être l’instructeur religieux du monde, et il ne l’a été qu’indirectement et malgré lui. C’est la malédiction des théocraties que, fondées au nom de la religion, elles ne réussissent ni au temporel, qu’elles dédaignent, ni au spirituel, qu’elles mettent au-dessus de tout. En s’obstinant dans l’idée théocratique, la nation juive a perdu à la fois et son existence politique et son influence religieuse. Le judaïsme ultérieur a son histoire, une étrange et souvent lamentable histoire, mais il est stérile pour le monde. Que serait-il arrivé si, prêtant plus docilement l’oreille à l’Évangile, cette nation eût abjuré toute prétention théocratique et opéré une réforme intérieure, logique et rationnelle après tout, en harmonie avec ses vrais principes, et qui, en la désintéressant des choses de ce monde, pour lesquelles évidemment elle n’était pas faite, eût centuplé son influence religieuse, adouci sa misanthropie traditionnelle, et fait d’elle un peuple d’apôtres pacifiques ? C’est ce que nul ne saurait dire. Seulement, le cœur serré de tristesse quand on voit avec quel irrémédiable aveuglement les sociétés humaines se refusent si souvent à leur vraie destinée, on a besoin de penser qu’en définitive le progrès de l’humanité ne s’arrête pas pour cela ; il se creuse des voies inattendues, il se sert même des événemens qui semblaient l’anéantir pour toujours. Les soldats de Titus qui renversaient avec tant d’orgueil le sanctuaire de Jéhovah ignoraient que depuis près de quarante ans le monothéisme savait parfaitement s’en passer et allait même profiter de leur victoire.


ALBERT REVILLE.