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… Et maintenant, poursuivit sir Saville, laissez-moi vous esquisser en quatre mots la famille où vous allez être admis. Vous savez qui est Alick Kilsyth. Sa vie a rencontré de bonnes et désastreuses chances. Fils puîné, comme tel entre de bonne heure au service, il était encore dans les rangs du 42e quand la mort de son frère, tué par accident à la chasse, le fit héritier du nom et des domaines paternels. À cette époque, il avait épousé déjà, — par inclination pure, cela va de soi, — la fille d’un humble curé de paroisse qui était morte en lui laissant deux enfans. Un peu plus tard, il crut devoir à sa position si changée de contracter un nouvel hymen. C’est alors qu’il devint l’époux de lady Muriel Inchgarvie, son égale par le rang, mais dont la famille avait à se démêler d’affaires très embarrassées. Lady Muriel est une personne…

Ici le narrateur parut hésiter. Wilmot l’interrogeant du regard : — … Une personne fort bien, continua-t-il, tout à fait convenable et parfaitement correcte… Sa beauté, sa jeunesse relative, auraient pu inquiéter un homme moins confiant que ne l’est Kilsyth ; mais l’événement a complètement justifié une détermination qui pouvait au premier abord paraître quelque peu aventureuse… Jamais lady Muriel n’a donné lieu au plus léger blâme… Elle remplit exactement tous ses devoirs de femme, tous ses devoirs de mère… Des deux enfans que son mari lui apportait, l’un, qui sert maintenant dans les life-guards, n’a jamais eu avec sa belle-mère que des rapports intermittens pour ainsi dire, et qui n’ont pas laissé de le placer jusqu’à un certain point sous son influence. La seconde, — c’est Madeleine, bonne et douce créature s’il en fut et le trésor des entrailles paternelles, — ne paraît pas avoir subi au même degré l’ascendant gracieux de lady Muriel. Si mes renseignemens sont exacts, elles vivent ensemble sur un pied de parfaite courtoisie, avec toute sorte d’égards réciproques, mais sans qu’une intimité réelle les rattache l’une à l’autre… A supposer qu’il y ait chez lady Muriel, — ce que je ne crois pas d’ailleurs, — quelque secret ferment de jalousie envers une fille aussi belle et aussi universellement aimée, elle a compris, elle a dû comprendre, intelligente comme elle l’est, que l’aflection d’Alick Kilsyth serait toujours pour Madeleine un bouclier impénétrable… Pauvre homme, à quelles angoisses il doit être en proie ! et combien je souhaite que votre talent le préserve du malheur qui le menace !… Madeleine est naturellement délicate, et à son âge, seize ou dix-sept ans tout au plus, ces scarlatines sont parfois terribles.

— On en vient à bout cependant, repartit Wilmot, sur qui ces dernières paroles produisirent l’effet d’un appel aux armes ;… mais je vous préviens, ajouta-t-il comme dernière protestation, que j’irais