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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/384

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mots déjà cités par nous le résument avec autant de précision que de sincérité. « Napoléon, dit l’empereur parlant de lui-même à la troisième personne, n’a point voulu altérer la croyance de ses peuples ; il respectait les choses spirituelles et les voulait dominer sans y toucher, sans s’en mêler. Il voulait les faire cadrer à ses vues, à sa politique, mais par l’influence des choses temporelles[1]. »

Tel est bien dans sa nudité peut-être un peu cynique, en tous cas avec ses vrais et profonds motifs, le système suivi par le premier consul et constamment pratiqué pendant toute la durée de son règne par le chef du premier empire. A lui seul il appartenait de venir du fond de son exil déposer avec une pareille autorité dans sa propre cause, et les différentes parties de son curieux témoignage sont toutes également véridiques. Oui, rien n’est plus exact : dès les débuts de sa carrière militaire en Italie, en plein directoire et plus tard surtout depuis le 18 brumaire, le vainqueur de Marengo s’est toujours montré attentif à ne pas choquer de l’autre côté des Alpes les croyances religieuses des populations au milieu desquelles il avait à faire la guerre. Oui, cela est également incontestable, le négociateur du concordat, quoique ses façons de traiter se ressentissent un peu de sa manière de combattre, a témoigné qu’il savait mieux qu’aucun des hommes issus comme lui de la révolution tenir compte de l’influence que l’ancienne foi avait gardée sur les esprits, particulièrement sur les sentimens des masses populaires. En affirmant qu’il n’a rien voulu changer aux croyances religieuses de la France nouvelle, Napoléon n’a fait que se rendre justice à lui-même et devancer celle qu’il avait droit d’attendre de l’impartiale postérité. Il a toutefois beaucoup facilité la tâche de ceux qui recherchent scrupuleusement les mobiles de ses déterminations, lorsque avec la même bonne foi il veut bien convenir qu’en agissant de la sorte il avait surtout pour but « de dominer les choses spirituelles. » Il prend enfin la peine de nous révéler lui-même son plan tout entier quand, sans plus de détour, il a soin d’ajouter que, « pour faire ainsi cadrer la religion à ses vues, il avait surtout compté sur l’influence des choses temporelles. » Grâce à lui, nous voici enfin en possession de la vérité toute pure. Où Napoléon la défigure peut-être un peu, sans le vouloir sans doute, c’est lorsqu’il veut nous donner à entendre qu’il avait découvert l’art merveilleux d’influer sur les affaires religieuses « sans s’en mêler » et le moyen plus incompréhensible encore « de les dominer sans y toucher. » N’en déplaise à l’empereur, il s’est aux jours de sa prospérité un peu plus mêlé des choses spirituelles qu’à Sainte-Hélène il ne lui a plu de s’en souvenir, et malgré sa

  1. Mémoires de Napoléon, t. IV, p. 236.