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devenaient dangereux à relâcher, car ils auraient été accueillis et choyés comme des martyrs par les partisans enthousiastes de la cause du saint-père, retenu, lui aussi, prisonnier à Savone. On les gardait donc indéfiniment en prison. Tous ces pauvres ecclésiastiques, dont les noms plébéiens n’ont jamais figuré et ne figureront jamais dans aucune histoire, ou périrent, lorsqu’ils étaient trop âgés, dans les cachots que l’empereur leur avait donnés pour demeure, ou n’en sortirent qu’après sa chute, quelques-uns sans avoir pu jamais deviner quels motifs particuliers avaient jadis motivé leur arrestation !

Cependant ces mesures de rigueur contre les personnes, si efficaces et si multipliées qu’elles fussent, ne formaient encore qu’une partie du système de répression qu’avait adopté l’empereur. Il avait une trop profonde perspicacité, il connaissait trop l’influence des idées sur la conduite des hommes, il savait trop à quel point la controverse la plus modérée, quand elle est habilement conduite, a chance de fortifier les âmes et de les pousser à l’indépendance, pour ne pas livrer une guerre acharnée aux feuilles religieuses qui n’avaient pas la prudence d’aller chercher directement leur inspiration au bureau administratif chargé par lui de diriger l’opinion publique. En religion comme en politique, lorsqu’il fut complètement le maître, il parut tout simple à Napoléon de s’adjuger le monopole de la parole. « M. Portalis m’a fait connaître l’existence de plusieurs journaux ecclésiastiques et les inconvéniens qui peuvent résulter de l’esprit dans lequel ils sont dirigés et surtout de la diversité de leurs opinions en matière religieuse. Mon intention est en conséquence, écrit-il au duc d’Otrante, que les journaux ecclésiastiques cessent de paraître, et qu’ils soient réunis dans un seul journal qui se chargera de tous leurs abonnés. Ce journal, devant servir à l’instruction des ecclésiastiques, s’appellera Journal des Curés. Les rédacteurs en seront nommés par le cardinal-archevêque de Paris[1]. » Ce Journal des Curés, institué par lui et mis sous la direction du cardinal de Belloy, faible et respectable vieillard qui lui était entièrement dévoué, ne le satisfit pas longtemps. « Rendez-moi compte, écrit-il bientôt après à M. Portalis, de ce que c’est que le Journal des Curés. Cette feuille paraît être dans le plus mauvais esprit, contraire aux libertés de l’église gallicane et aux maximes de Bossuet[2]. » « Je vous prie, mande-t-il à la même époque au duc d’Otrante, je vous prie de bien veiller à ce que ces ridicules discours ecclésiastiques, surtout contre les libertés de l’église gallicane, finissent dans les journaux. On ne doit s’occuper de l’église que dans les sermons[3]. »

  1. Lettre de l’empereur à M. Fouché, 7 février 1806.
  2. Lettre de l’empereur à M. de Portalis, 14 août 1807.
  3. Lettre de l’empereur à M. Fouché, 1er août 1807.