Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’y avaient déterminé jusqu’alors ni armemens, ni manifestations éclatantes, La ligue, qui avait depuis six ans un grand conseil de gouvernement à Paris et des agens accrédités dans les cours étrangères, n’avait pu prendre racine en Bretagne ; ce n’est que vers 1585 qu’on en rencontré les premières traces sérieuses. À cette époque, on voit succéder tout à coup à une longue tranquillité les horreurs d’une guerre acharnée. Quelle part faut-il faire aux événemens dans cette transformation soudaine ? quelle influence est-il juste d’attribuer au nouveau gouverneur de la province ? que faut-il penser surtout des sentimens que la Bretagne entretenait alors à l’égard de la monarchie française ?

Les faits exposés plus haut ont répondu d’avance à ces questions. L’édit d’union n’avait pas été agréable à la Bretagne, mais il y avait été universellement accepté comme nécessaire, et depuis 1532 le pays avait plutôt profité que souffert de son association au sort de la grande monarchie voisine, car il en était devenu partie intégrante en conservant la plénitude de sa vie nationale. Ses richesses avaient augmenté par l’extension de son commerce maritime principalement avec l’Espagne et le Portugal, et la France avait fait la fortune militaire de quelques gentilshommes bretons entrés à son service, sans imposer encore ce service lui-même à la masse des populations. Le pays, qui connaissait à fond ses droits comme doivent toujours les connaître les peuples jaloux de les faire respecter, les avait vu violer plus d’une fois ; mais les résistances n’avaient pas eu moins d’éclat que les griefs, et la liberté de la plainte ne manqua jamais de provoquer le redressement.

On a vu par des témoignages authentiques avec quelle vivacité se produisait le sentiment breton et quelle sève possédaient les institutions nationales. Un peuple sensé ne pouvait aspirer à changer un pareil état de choses au prix de chances terribles et des plus incertaines. Aussi est-il impossible de trouver dans les faits quelque fondement à l’opinion toute moderne qui voudrait expliquer par une arrière-pensée de séparation la guerre engagée en 1589 contre Henri IV par la presque totalité du pays. Il ne faut jamais que les historiens prêtent aux peuples ou trop d’esprit ou trop de calcul, car il est rare qu’aux heures solennelles de leur vie ceux-ci ne disent pas ce qu’ils pensent, ou qu’ils pensent autre chose que ce qu’ils disent. La dissimulation, qui est le tort des individus, n’est jamais celui des masses. Les nations qui meurent ne mentent pas, et si le duc de Mercœur conspira pour se ménager une souveraineté, il eut si peu la Bretagne pour complice qu’il n’osa pas même la prendre pour confidente.


L. DE CARNE. zoé