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La caravane qui se réunit à Damas est en quelque sorte la caravane officielle depuis le commencement du XVIe siècle, c’est-à-dire depuis que le sultan des Turcs est devenu le commandeur des croyans, le successeur des califes. Tous les ans, le sultan envoie de Constantinople aux lieux saints de l’islamisme des présens d’une assez grande valeur avec la caravane qui part de la capitale de l’empire et traverse l’Asie-Mineure, où elle rallie les pèlerins de l’Anatolie et un nombre assez considérable de Persans. Cette caravane est commandée par un haut fonctionnaire que nomme le sultan. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les détails donnés sur cette curieuse organisation par M. de Ségur-Dupeyron et par M. de Valbezen ; nous n’y reviendrons pas. Rappelons seulement qu’aux portes de Damas commence le désert, dont la traversée dure environ quarante jours. Les stations consistent en de petits châteaux, échelonnés sur la route, où l’on trouve de l’eau et où l’on dépose des provisions pour le retour. Une escorte d’environ cinq cents soldats protège les voyageurs. La caravane s’arrête dans la ville de Maan,.située au sud-est de la Mer-Morte, marche à peu près parallèlement à l’axe longitudinal de la Mer-Rouge jusqu’à Médine, et de cette ville à La Mecque.

Le voyageur anglais Burton a vu arriver cette caravane à Médine en 1854[1]. Il en fait une peinture des plus animées et des plus pittoresques. « En une seule nuit s’était élevée une ville entière de tentes de toute forme et de toute couleur, depuis le magnifique pavillon du pacha avec son croissant doré et sa tenture de châles précieux jusqu’à l’humble abri en toile verte du marchand de tabac. Ces tentes étaient rangées dans un ordre admirable ; mais comment décrire l’agitation qui règne dans cette foule et les bruits multipliés qui s’en échappent ? Ici les grands dromadaires blancs de la Syrie font retentir leurs grosses clochettes ; les hautes litières dont ils sont chargés paraissent autant de pavillons qui se balancent au-dessus de la foule mobile. Là des Bédouins s’avancent sur leurs chamelles en se tenant accrochés aux bosses velues du pesant animal. Plus loin ce sont des cavaliers albanais, turcs ou kurdes, qui, dans leur gaîté brutale, semblent féroces… Des vendeurs ambulans de sorbet ou de tabac crient leurs marchandises. Des Arabes de la campagne guident à grand’peine, avec des clameurs incessantes, leurs troupeaux de moutons et de chèvres à travers les chevaux qui piaffent et qui hennissent. Des pèlerins luttent entre eux d’empressement pour visiter le sanctuaire, se glissent à travers les jambes des chameaux, et, dans leur précipitation, sont renversés

  1. Pilgrimage to el Medinah and Meccha.