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accueillait avec transport l’heureux messager qui, ayant devancé tous ses émules, venait, le 21 novembre 1814, annoncer l’approche de la caravane de Syrie, et dont le cheval surmené tombait raide mort en arrivant. Suivons d’abord les pèlerins au mont Arafat, à six heures de La Mecque. Ce lieu est consacré par le souvenir d’Adam et d’Eve. On s’y rend en masse et processionnellement ; l’étendard du sultan est déployé. La plupart des pèlerins récitent des prières ou lisent le Coran. Les Bédouins du voisinage galopent aux flancs de la caravane sur de rapides dromadaires ; ils sont accompagnés de leurs femmes, qui rivalisent de hardiesse avec les plus intrépides cavaliers. En approchant de la montagne d’Arafat, les pèlerins se dispersent pour chercher le lieu de leur campement. Les dévots passent la nuit en prières. À l’aube, deux coups de canon appellent les fidèles à la prière du matin. L’Arafat a plus d’un mille de circuit ; il s’élève à environ deux cents pieds au-dessus du niveau de la plaine. On aperçoit à l’horizon les pics bleuâtres des montagnes de Taïf, où, suivant une ancienne tradition, la glace est éternelle. Après midi, on doit se purifier par l’ablution complète. À trois heures a lieu un sermon auquel on est tenu d’assister pour avoir droit au titre de pèlerin (hadji). C’est un souvenir du sermon que Mahomet, monté sur sa chamelle, prêcha en cet endroit deux mois avant sa mort. Le prédicateur est ordinairement le cadi de La Mecque. Il est monté sur un chameau à l’imitation de Mahomet. Quelquefois il lit son discours. Il est d’usage qu’il pleure. Le sermon est souvent interrompu et toujours suivi du cri consacré : « fais de nous ce que tu voudras, ô Dieu ! fais de nous ce que tu voudras ! »

L’attitude des pèlerins pendant le sermon n’est pas toujours marquée au coin d’une chaleureuse ferveur. « Ceux qui se tenaient près de moi, dit Burckhardt, offraient un spectacle très remarquable par sa diversité. Quelques-uns, presque tous étrangers, criaient et pleuraient, se frappaient la poitrine, et confessaient qu’ils étaient de grands pécheurs devant le Seigneur ; d’autres, en très petit nombre, dans l’attitude de la réflexion et de l’adoration, gardaient le silence et avaient les yeux baignés de larmes. Des Arabes du Hedjaz et des soldats causaient et plaisantaient ; quand les autres pèlerins agitaient leurs ihrams, ils gesticulaient comme pour tourner cette cérémonie en ridicule. En arrière sur la montagne, plusieurs bandes de ces Arabes et de ces soldats fumaient tranquillement leurs narghilés. Dans une caverne voisine, une femme vendait du café ; les chalands, par leurs éclats de rire et leur conduite turbulente, contrariaient souvent la dévotion fervente des pèlerins qui étaient auprès d’eux. Beaucoup n’avaient pas revêtu l’ihram. Vers la fin de la cérémonie, les spectateurs avaient pour la plupart l’air fatigué,