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La lampe au lumignon tremblant
Faiblement éclaire une joue,
Un coin d’oreille et le cou blanc
Où le lourd chignon se dénoue.


Voilà en quatre vers un délicieux tableau de genre, et il est impossible de mieux voir. Eh bien ! ce portrait d’une touche fine et exquise me gâte la Veillée. À ces lignes délicates, je reconnais l’artiste, non le poète, j’admire le peintre et j’oublie le sujet. Quoi ! vous me racontez une touchante histoire d’amour, vous voulez m’émouvoir, et vous vous arrêtez à cette description minutieuse avec une complaisance qui me prouve que vous n’êtes pas ému !

Cette manie de tout décrire qui s’est emparée des écrivains de notre temps a gâté les meilleurs et gâtera M. Theuriet, s’il n’y prend garde. Je lui reprochais tout à l’heure une tache légère dans une œuvre charmante ; il y a dans son recueil d’autres pièces où la tache s’étend et envahit tout. Ainsi l’Alouette, les Chercheuses de muguet, sont des descriptions riches de détail, pauvres de sentiment. Rivarol aurait désiré voir un loup, rien qu’un petit loup dans les bergeries de Florian ; dans les paysages de M. Theuriet, je voudrais voir l’homme plus souvent. La nature en effet sans l’homme est matière inerte et inanimée. Lui seul la vivifie en lui donnant son âme. Les plus belles choses ne sont belles à nos yeux que par les rapports mystérieux qu’elles ont avec nos pensées et nos sensations. Nous aimons les merveilles de la terre en égoïstes. Ainsi, quand les poètes et les amoureux s’arrêtent émus à la voix du rossignol, c’est que ses notes sont le rhythme de leurs pensées et l’accompagnement de leurs rêveries. Un rustre qui aurait sommeil ne ferait pas de différence entre la voix du divin chantre et le coassement de la grenouille. Ah ! que les anciens, nos maîtres en tout, connaissaient bien le rapport intime qui existe entre les hommes et les choses, eux qui faisaient bouillonner les sources aux ébats des naïades et palpiter les nymphes sous l’écorce des aulnes ! Ces réflexions me sont inspirées surtout par la lecture du Charbonnier, une des jolies pages du recueil de M. Theuriet. Ce tableau est d’une exécution finie : on y voit la hutte du sombre travailleur, son pauvre ménage, les lits de mousse de ses enfans ; on assiste à tous les détails de la fabrication du charbon ; la description est d’un homme qui a vu, qui a bien observé, qui n’a rien voulu omettre : elle est complète, elle est exacte, et cependant elle est froide. Pourquoi ? Parce que le sentiment est noyé dans le détail. M. Michelet, dans l’Oiseau, traite un sujet semblable avec moins d’art apparent, mais avec, plus de science réelle. Le pauvre bûcheron est assiégé par l’hiver, autour de sa cabane isolée le vent hurle, la neige s’amoncelle, les arbres gémissent ; mais voilà qu’au milieu de la tourmente un bruit léger se fait entendre à sa fenêtre. C’est un ami qui vient le visiter, un