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II

Pour mieux comprendre comment le progrès agricole s’est accompli, il est bon de sortir des généralités et de considérer un cas particulier. Tout deviendra plus vivant ainsi, et l’on saisira mieux la réalité des choses. Transportons-nous donc dans le domaine de Steinbusch, situé aux limites des trois provinces de Prusse, de Poméranie et de Posen. Cette terre est immense ; elle comprend 54,927 morgen[1], dont 12,786 en terre arable, 31,370 en bois, 3,000 en prés et 6,161 en lacs et étangs. Cet imposant ensemble a été constitué par son propriétaire, mort il y a quelques années, M. Sydow. Ce n’est pas une terre princière, que domine un vieux château féodal transmis de génération en génération. M. Sydow, à force d’ordre et d’économie, l’a formée par la réunion de sept rittergüter, biens nobles acquis successivement de 1811 à 1849. C’est ainsi que s’est formée la Prusse elle-même. A l’origine, M. Sydow avait peu de fortune ; mais à l’époque des grandes guerres de l’empire les propriétés dans cette région se vendaient à vil prix, et elles restèrent dépréciées jusqu’après 1830. Un détail donnera l’idée de l’état de l’agriculture en ce temps-là. Le rittergut de Steinbusch, comprenant 1,000 hectares en 1816, ne possédait que 2 chevaux, 10 bœufs, 22 bêtes à cornes, 500 moutons, et en fait d’instrumens aratoires que trois charrues et deux herses de bois en mauvais état. Le produit net que pouvait donner un pareil bien était à peine suffisant pour faire subsister le propriétaire. Le sol était sablonneux et humide, entrecoupé de marais et d’étangs. Sur ce triste domaine végétaient quelques rares familles de paysans, vivant de seigle et de pommes de terre. M. Sydow étudia les ressources naturelles de sa propriété, visita avec soin les contrées avancées en culture, s’enquit partout des bonnes méthodes, et les appliqua chez lui avec un discernement, une persévérance et une sage économie que couronna le plus brillant succès. Les bois étaient dévastés par les troupeaux des paysans, qui y exerçaient de temps immémorial le droit de vaine pâture. Il acheta les petites occupations des pauvres

  1. Le morgen équivaut à 25 ares 5 centiares.