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défense contre l’anarchie et dans les satisfactions libérales une arme contre le despotisme gouvernemental, rien ne paraît plus facile à admettre et n’est plus fait pour flatter notre amour-propre. Il n’en faut pas moins craindre que ces oscillations d’un système à l’autre, ces hésitations successives entre les nécessités de l’ordre et celles de la liberté, ne retardent ou ne compromettent le succès de l’entente finale. C’est donc un devoir pour chacun de jeter son mot d’avertissement toutes les fois qu’un des entraînemens auxquels nous sommes sujets semble devoir nous précipiter vers un de nos excès accoutumés.

Dans la sphère élevée des intérêts politiques, l’esprit libéral semble marcher à un triomphe dont personne ne lui conteste plus la légitimité en théorie, et qui sera plus ou moins régulier selon qu’il aura été disputé avec plus ou moins de prudence. Dans le monde des intérêts matériels, le principe de liberté est depuis longtemps proclamé vainqueur, et cependant cette victoire peut-elle être considérée comme définitive ? La résistance se retranche dans toutes les positions secondaires, les traditions luttent encore au fond des esprits, les mœurs surtout accusent de vieilles préventions qui pourraient faire craindre, si on ne les dissipait, pour l’avènement prochain de la liberté industrielle. Récemment M. Louis Reybaud constatait ici même la scission opérée partout entre les patrons et les ouvriers. Les efforts tentés depuis l’abolition des corporations par les chefs d’industrie pour rendre la position de l’ouvrier moins précaire et pour mettre sa vieillesse à l’abri du besoin, pour remplir en un mot envers lui les devoirs du patronage, n’ont pas eu en général les effets qu’on en attendait. Les ouvriers répudient les moyens employés, et refusent les dons qui leur sont offerts. Ce n’est pas à la bienfaisance des patrons qu’ils veulent devoir la fixité du salaire quotidien, — par eux réclamé en dépit des incertitudes du bénéfice industriel, — et l’assurance d’une vie facile quand l’heure du repos sera venue ; c’est à leurs seuls efforts, à des combinaisons auxquelles les patrons restent étrangers, c’est enfin à des associations menaçantes pour ceux-ci qu’ils prétendent recourir afin de sauvegarder leurs intérêts. M. Reybaud, après avoir payé au patronage, désormais insuffisant, un tribut de légitimes regrets, a raison de penser que l’industrie ne mourra pas dans cette crise. Il se console des coups que peuvent lui porter les coalitions, les grèves, toutes les difficultés élevées à propos des salaires par cette vérité irrésistible, qu’il y a un point où la lutte cessera forcément, celui où les exigences réciproques seraient telles que l’industrie ne donnerait plus aucun profit. Même après que l’enquête sur les unions’ trades a révélé les faits de brutalité sauvage