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éclatait toute la sincérité de son âme, et résistant à la tentation de lui prendre la main : — Dieu sait, lui dit-il, que je voudrais avoir une autre réponse à vous faire ; mais, en toute vérité, je ne saurais vous cacher que je regarde ce mariage comme impossible.

Chudleigh Wilmot frémit des pieds à la tête quand lui arrivèrent ces paroles décisives. Une évocation rapide plaça devant lui l’image de Mabel, de cette jeune femme que la jalousie avait menée au suicide, et qui était morte sans un regret, sans un adieu, tuée non par lui, mais par l’indifférence qu’il lui avait témoignée dès les premiers jours de leur union. — Décidément les secrets sont difficiles à garder, se dit-il avec amertume. Pourquoi celui-ci n’aurait-il pas transpiré comme l’autre ?… Et sous le coup de cette idée qui lui donnait le frisson : — Eh bien ! capitaine, dit-il avec une résignation mélancolique, votre opinion se trouve d’accord avec la mienne. Vous allez en avoir la preuve immédiate.

À ces mots, il ôta de son enveloppe et remit dans les mains de Ronald la lettre à sir Saville Rowe, écrite la veille au soir et dont il avait par grand hasard différé l’envoi. Le capitaine la lut d’un bout à l’autre et la lui rendit sans se permettre la moindre réflexion. Il n’en était pas moins fort ému.

— Comme vous voyez, lui dit Wilmot, je n’aime pas les expédiens dilatoires, ni les longues tortures. Il est bon d’en finir d’un coup avec les espérances irréalisables. Avant trois jours, j’aurai quitté l’Angleterre.

— Mais cela ne se peut… Qu’allez-vous devenir ? Pourquoi briser une carrière comme la vôtre ? reprit le capitaine, qui d’une main filait sa longue moustache, de l’autre se cramponnait vigoureusement au bras de son fauteuil… Ah ! tenez, les hommes de votre espèce ne se rencontrent pas tous les jours…

— Que voyez-vous donc de si méritoire dans la résolution que je prends ?…. J’obéis à une impérieuse nécessité… Savoir la reconnaître n’a rien après tout de si merveilleux.

— Et vous allez ?… »

— Probablement en Allemagne… Je ne sais trop cependant… A Vienne, à Berlin, où sont groupés un certain nombre de nos savans, on pourra me croire attiré par quelque intérêt professionnel. Autant que possible, je ne voudrais pas laisser une énigme en pâture à la curiosité des oisifs.

— J’espère, dit Ronald en se levant (et cette fois il saisit la main que Wilmot ne lui offrait point), j’espère qu’il nous sera donné de nous revoir sous de plus heureux auspices. En attendant, je reste votre obligé,… votre ami, si vous voulez le permettre.

Quelques minutes après le départ du capitaine, le domestique entra pour avertir que la voiture, attelée depuis déjà longtemps,