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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/679

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sur elle. Ce n’est point là un reproche au moins. Il est tout simple et tout naturel que, n’étant pas ma fille, elle ne m’accorde pas les privilèges dus à une vraie mère… Ce serait donc à vous…

— Pardon, chère amie… Certainement, au premier abord, vous avez le droit… D’autre part voyez-vous… Je sais bien que la question doit être posée ;… mais si vous pouviez m’en dispenser…

Ainsi parla, non sans grand embarras, cet excellent mari, qui se sentait mis au pied du mur. Un nuage sombre passa sur le front de son altière moitié. Cependant elle reprit après une courte pause : — Je ne vois alors que Ronald ; lui seul est en position de traiter avec Madeleine une question si délicate… Lui seul possède assez d’influence pour la déterminer au besoin.

— Ne trouvez-vous pas qu’il est un peu rude avec cette enfant ? Pour rien au monde, je ne voudrais qu’il abusât de son autorité.

— Sa brusquerie, que vous appelez rudesse, ne l’empêche pas de porter le plus vif intérêt à la destinée de sa sœur, qu’il aime avec une tendresse rare et profonde. D’ailleurs, cher Alick, pourrez-vous m’indiquer un intermédiaire plus sûr et plus convenable ?…

Deux jours après cette conversation, Ronald vint frapper à la porte du salon-boudoir que nous avons décrit bien avant l’heure où il s’y présentait ordinairement. Son visage, quand il entra, était moins calme que d’habitude. Sa sérénité semblait avoir reçu quelque légère atteinte. Lady Muriel parut, elle aussi, un peu agitée quand elle quitta son fauteuil pour venir à la rencontre de son beau-fils.

— L’avez-vous vue ? lui dit-elle. Est-ce chose faite ?… Qu’a-t-elle répondu ?

— C’est la meilleure enfant du monde, répliqua Ronald. Elle a pris les choses avec une tranquillité parfaite et n’a rien objecté à nos arrangemens… Je crois que nous nous sommes trompés en la croyant préoccupée de… l’autre personne.

Ah ! si quelque miroir magique leur eût, en ce moment-là même, montré Madeleine, ils n’auraient pu se méprendre sur ce que le souvenir poignant de « l’autre personne » lui coûtait de larmes amères et lui imposait d’angoisses cachées.


E.-D. FORGUES.