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quoiqu’il n’ignorât pas l’attachement profond de ce grand corps pour l’autorité royale ; mais un silence glacial accueillit sa déclaration de ne plus déférer aux ordres d’un roi auquel il imputait tous les crimes, à commencer par le plus invraisemblable de tous, le dessein arrêté de détruire la religion catholique. Un avis mystérieux reçu pendant la séance le détermina à quitter tout à coup la salle[1] et bientôt après la ville elle-même.

Sans s’inquiéter des forces militaires dont disposaient encore les serviteurs de l’autorité royale enfermés dans la citadelle, sans se rendre compte de l’immense autorité morale assurée à une compagnie aussi puissante que l’était le parlement de Bretagne dans la ville où il siégeait, Mercœur commit la faute de s’éloigner en concentrant tous ses efforts et toutes ses pensées sur le siège de Vitré, forte place qui, au milieu de l’insurrection générale de la Haute-Bretagne, restait désormais la seule porte par où les forces françaises pussent encore pénétrer dans la province. Pendant qu’il attaquait ce boulevard inexpugnable de l’hérésie, fief de la maison de Laval, avec l’assistance de toutes les populations rurales, Mercœur fut surpris par une nouvelle fort inattendue ; son imprévoyance venait de recevoir un châtiment mérité : Rennes avait pour jamais échappé au parti de l’union catholique, et la ville parlementaire allait demeurer inébranlablement fidèle à la cause royale au milieu d’une contrée où Mercœur exerça durant plusieurs années une autorité à peu près souveraine.

Le complot qui enleva Rennes à la ligue est probablement le seul qui ait jamais été tramé dans une chambre de notaires et exécuté par des gens de loi la hallebarde à la main. Quelques jours après le départ de Mercœur, le sénéchal et plusieurs notables de la ville, voulant la soustraire aux séditieux, « conférèrent ensemble de le faire et regardèrent comme ils y mettraient ordre. Ils conclurent que ledit jour de mercredi que les notaires étaient de garde, ils se saisiraient des clés de la ville et avertiraient les principaux des nôtres, qu’ils savaient tous être bons serviteurs du roi. Et de fait le mardi au soir, comme on était à bailler le mot d’ordre et à asseoir les gardes, ils commencèrent à mettre des hommes à eux en la tour aux foulons… La compagnie des notaires se saisit donc au matin de ladite tour, et allèrent criant par la ville vive le roi !… L’on était près d’entrer à l’église lorsque l’alarme arriva. Cela fit au prédicateur oublier son sermon, encore qu’il eût dit les jours précédens qu’il était prêt à mourir plutôt que jamais tenir le parti

  1. C’est ce qui résulte des énigmatiques paroles du notaire royaliste Pichart dans son journal, tenu avec la sécheresse d’un répertoire, à la date du mardi 15 du mois de mars 1589.