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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/730

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le cuisinier réunissaient leurs efforts pour créer un déjeuner aux effendis, comme ils nous appelaient. On se dirigea donc vers la rivière de l’Hercyne, qui descend en murmurant le long du flanc septentrional de l’Hélicon et recueille au passage les eaux de deux sources, jadis sacrées, qui portaient les noms de Léthé et de Mnémosyne. En ces lieux remplis de mystérieux souvenirs, la curiosité d’un voyageur un peu instruit cherche avant tout le fameux antre de Trophonius. L’honnête gendarme nous conduisit devant une ouverture carrée, creusée de main d’homme dans le roc, et par où, d’après lui, on pénétrait jusqu’à la caverne fatidique. Il était impossible d’entrer dans ce trou autrement qu’en rampant. Personne ne s’y risqua. Était-ce bien d’ailleurs l’antre de l’ancien oracle ? J’en doutais, et je quittai bientôt ce rocher, qui n’avait eu pour moi qu’un mérite, celui de me rappeler deux antiques traités, l’un sur le Démon de Socrate, l’autre sur la Cessation des oracles, écrits par ce Plutarque dans la patrie duquel je devais passer la soirée et la nuit.

Vers deux heures en effet, après le repas et la sieste, on se remit en marche dans la direction du lac Copaïs. Les chevaux cheminaient dans le lit même de l’Hercyne, parmi les jardins fertiles de Livadie et à l’ombre des bois d’oliviers. Un peu plus loin, il fallut quitter ce sentier frais et odorant pour gravir une route turque, espèce de chaussée escarpée et raboteuse où les rayons obliques du soleil nous dévoraient et où nos montures trébuchaient à chaque pas. Parvenus enfin au sommet de la colline, une vue admirable se déploya devant nous : à nos pieds s’étendait la plaine de Chéronée ; au nord miroitaient les eaux dormantes du lac Copaïs ; à l’ouest, le Parnasse dressait son front couvert d’un manteau de neige éblouissante au sud, l’Hélicon, couronné de pins et de chênes, allongeait sa masse d’un noir bleuâtre, Je restai un instant en contemplation devant ce spectacle grandiose, puis d’un temps de galop je m’élançai vers le centre même de la plaine, à l’endroit où se voient épars et brisés les membres de ce colosse de pierre que l’on nomme encore aujourd’hui le lion de Chéronée. Je mis pied à terre, et, laissant mon cheval paître en liberté, je dessinai cette ruine imposante, monument d’une lutte terrible et suprême où succomba l’indépendance de la Grèce.

Dans ce désert, tout me parlait de l’auteur qui a écrit les Vies des hommes illustres, et chez lequel l’instinct français aime à rencontrer l’historien des mâles vertus patriotiques et militaires. C’est le biographe de Pélopidas, de Démosthène et d’Alexandre qui nous a conservé le souvenir des épisodes les plus émouvans de cette bataille que les Grecs auraient gagnée, si l’intelligence des généraux