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dévore. Sauf Java, vaste ferme à café, dont la Hollande possède le sol et qui lui livre une partie de ses produits comme équivalent de la rente, toute colonie enlève au pays qui se croit heureux de la posséder une partie de ses capitaux et de sa population. Quand les capitaux et les hommes se recréent avec une merveilleuse fécondité comme en Angleterre, le mal n’est pas grand ; mais on n’en peut dire autant des contrées où il reste beaucoup à faire pour développer les ressources nationales. La Prusse a placé ses épargnes sur son propre territoire ; elle a colonisé ses sables et ses marais. La fertilité qu’elle a communiquée au sol, les bâtimens d’exploitation qu’elle y a élevés, les animaux qu’elle y entretient, tout cela est bien à elle, c’est une conquête définitive qui ne peut lui être enlevée par quelque revers maritime, comme des colonies lointaines. Elle aspire aujourd’hui, dit-on, à en posséder et à y associer une forte marine militaire. Ce sont là de ces ambitions creuses empruntées aux vues erronées de l’ancien régime. La science économique en a montré l’inanité, et l’Angleterre, qui comprend ces enseignemens, travaille patiemment à se libérer des charges et des responsabilités que ses colonies lui imposent. Supposez que la Prusse ait possédé depuis trente ans quelque Algérie ; quel plus bel établissement colonial eût-elle pu désirer ? Pourtant il lui eût coûté pour la flotte, l’armée, l’administration, 100 millions par an, c’est-à-dire de quoi mettre en valeur définitive 400,000 hectares annuellement ou 12 millions d’hectares depuis le moment de la conquête. Qu’elle n’ambitionne donc point ces brillantes possessions d’outre-mer et ces formidables vaisseaux cuirassés nécessaires pour les défendre. Ce n’est point cela qui donne aux peuples le bien-être et le bonheur.

On reproche à Berlin d’avoir des monumens en briques et point d’égouts[1]. Croit-on qu’il eût mieux valu suivre l’exemple de Paris, qui en ce moment éblouit le monde ? C’est le cas de relire le petit écrit de Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit, ce sont ces boulevards interminables, ces palais alignés, ces édifices en pierres sculptées où de toutes parts l’or étincelle au soleil. Ce qu’on ne voit pas, ce sont les campagnes qui se dépeuplent et où l’argent fait défaut pour mettre en valeur des terres fertiles. Dans une de ces tirades hautes en couleur dont abonde l’Ami des hommes, Mirabeau le père tonne contre l’accroissement de la capitale. « Une capitale, dit-il, est aussi nécessaire à l’état que la tête l’est au corps ; mais si la tête grossit trop et que tout le sang s’y porte, le corps devient apoplectique, et tout périt….. L’accroissement de la capitale doit être pris pour une preuve d’abondance

  1. Il faut noter d’ailleurs que la construction des égouts y rencontre une difficulté presque insurmontable. Dans ce pays tout plat, la pente est insuffisante, et les eaux de la Sprée sont presque au niveau du sol.