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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/752

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Or ce qui était possible, c’était une tentative de décentralisation ; ce qui était praticable, c’était de refaire des citoyens avec les restes de liberté que les municipes avaient imprudemment dédaignés. Là est la conception personnelle et vraiment originale de Plutarque en politique. Par ce côté de ses doctrines, très peu connu jusqu’à ce jour, le vieux moraliste entre profondément dans nos préoccupations de l’heure présente ; il remue nos idées actuelles, il parle presque notre langage. Cependant il ne pouvait avoir toutes nos espérances. Quoi qu’il advînt d’heureux, la cité grecque devait rester sujette. « Dites-vous bien, écrit Plutarque à un jeune homme désireux de servir son pays, dites-vous bien, quand vous serez magistrat : Tu commandes, mais tu es commandé, et regardez au-dessus de votre couronne les sandales du proconsul. » Plutarque s’efforce du moins de rallumer le foyer presque éteint de la vie municipale. Pour reconstituer l’action individuelle des provinces, il s’applique à en stimuler les causes, c’est-à-dire l’instinct national, qui palpitait encore, et la conscience morale, qu’il ne croyait pas impossible de ranimer.

De ces deux forces, la première est évidemment la plus énergique. Quand elle s’éteint, c’en est fait, l’âme d’un peuple est partie à jamais ; tant qu’elle dure, rien n’est perdu, un jour l’étincelle deviendra flamme. Je ne veux point discuter ici la question théorique des nationalités ; mais consultez les faits et dites si jamais on a régénéré un peuple sans faire un puissant appel à l’instinct national ! Qu’on blâme les excès tantôt agressifs, tantôt vains et ridicules du patriotisme, on a raison ; mais que deviendrait une nation qui n’aurait plus que des sentimens cosmopolites et des devoirs vagues ? Soyons citoyens de l’univers, comme le demandait le stoïcisme ; mais qu’en nous le citoyen de notre patrie ne meure pas. Ainsi l’entendait Plutarque. Admirateur enthousiaste des grands citoyens, il raconte leur vie et l’offre en exemple. Grec jusqu’à la passion, parfois jusqu’à la violence, il souffle à ceux qui l’entourent l’ardeur puissante de son patriotisme. En même temps qu’il surexcite ce noble instinct, il le plie au joug de la raison. Ses Préceptes politiques présentent le type du parfait magistrat. Là sa parole s’empreint d’une éloquence tour à tour ironique, austère, sereine. « Vous voulez, dit-il, être magistrat ? Soyez juste alors, et sachez dire non ! Un homme puissant vous prie de commettre une injustice pour l’amour de lui ; priez-le, pour l’amour de vous, d’aller dans les carrefours faire des cabrioles et des grimaces. Servez la patrie pour elle, non pour vous. Celui qui s’enrichit dans les magistratures est pareil au larron qui dépouille les temples et pille les tombeaux. Servez votre pays jusqu’à la dernière heure : les fonctions civiques