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changé avec les siècles, le modèle existe toujours. Ce pauvre fou qui achetait au charlatan l’explication de son rêve, vous l’avez rencontré ; c’est lui qui, aux conseils prudens et aux doutes raisonnes de la science médicale, préfère les ordonnances d’une somnambule ignare. Ce païen qui calomniait les dieux, je le retrouve dans le campagnard qui montre le poing à son saint quand il a grêlé sur ses vignes. Ces Gréco-romains superstitieux et fatalistes, dévots et impies, les voici encore : ce sont les hommes mous et légers, moins croyans que crédules, qui, n’admettant la Providence que par habitude, sans y réfléchir sérieusement et en quelque sorte pour leur commodité personnelle, renvoient à Dieu le soin de leurs affaires et les devoirs de l’âme libre, quitte à le maudire lorsqu’au lieu de faire nos tâches humaines, il se borne à maintenir les lois générales de l’univers.

Le remède à la superstition, c’est une religion sensée ; mais où commence celle-ci, où finit celle-là ? La réponse de Plutarque à cette question est d’un esprit ferme et peut se ramener aux termes suivans : la superstition disparaît dès qu’il n’y a plus ni dupes ni fourbes et lorsque les théologiens n’affirment que ce que la science est en mesure d’expliquer. On vient de voir comment Plutarque caractérisait les dupes. Quant aux fourbes, il les connaissait et leur a porté de rudes coups. C’est surtout dans les sanctuaires prophétiques que se pratiquaient les jongleries sacerdotales. S’il y avait eu autrefois des oracles sincères et loyalement transmis, ce temps de bonne foi avait peu duré, et les prêtres n’avaient pas tardé à se mettre à la place du dieu. Ces hommes avisés avaient interdit aux consultans d’interroger directement l’oracle. On devait remettre sa question sous pli cacheté au prêtre appelé prophète. Celui-ci entrait seul dans le sanctuaire où la pythie, fille choisie parmi les plus ignorantes et les plus nerveuses, était soumise à l’influence excitante de certains gaz qu’exhalait le sol du temple. Dès que son délire commençait, le prêtre lui dictait une réponse que, dans le trouble de la crise, elle croyait recevoir de la bouche du dieu. Cette réponse était écrite en termes ambigus au bas de la tablette où était posée la question ; puis le pli, refermé et cacheté de nouveau, était remis au consultant. — Il y avait eu aussi pendant longtemps des scribes exercés dont l’office était de versifier à la minute les paroles de l’oracle, afin qu’Apollon, dieu des vers, parût être réellement l’auteur de la réponse fatidique. On devine quel parti les politiques avaient dû tirer d’une institution religieuse si facile à diriger dans le sens de leurs passions. Plutarque flétrit les fauteurs de ces impostures. « Ce sont, dit-il, des bateleurs, des faiseurs de. tours de passe-passe. » Il n’ignore pas que « la superstition est une