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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/78

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REVUE DES DEUX MONDES.


qu’ils pensaient, voulaient, respiraient en commun, tant leurs sentimens et leur conduite se trouvaient d’accord en toute circonstance, et, comme s’ils n’eussent formé qu’un en réalité, on se plaisait à les confondre tous les quatre sous cette dénomination collective, « les Longs-Frères. »

De tout temps, les patriarches d’Alexandrie les avaient eus en grande estime. Athanase, partant pour l’exil en 341, avait tiré du monastère de Scété Ammonius, le second d’entre eux, pour l’accompagner à Rome, et l’on se rappela longtemps dans la ville éternelle le bon moine, qui, rêvant le désert au milieu de ses splendeurs, ne voulut visiter de tant de merveilles que les tombeaux des apôtres. L’exil d’Athanase fini, Ammonius acheva le sien ; il dit adieu au monde pour s’ensevelir de nouveau dans l’affreuse solitude qui était pour lui le paradis.

Théophile, troisième successeur d’Athanase, avait, à l’instar de ses prédécesseurs, recherché l’amitié des Longs-Frères, qui étaient la gloire des monastères de Nitrie, de même que ces monastères étaient celle de l’Égypte chrétienne. Il eût voulu les fixer près de lui comme un moyen de popularité et un instrument d’action, et persécuta particulièrement Ammonius pour en faire un de ses évêques. Rebuté dans sa poursuite par les scrupules et la simplicité de ce moine, qui s’était sauvé dans le désert au premier mot d’épiscopat, il envoya des gens pour l’enlever afin de l’ordonner par force : ces procédés n’étaient pas rares à une époque où, malgré la corruption du clergé séculier, beaucoup de désintéressement régnait dans le clergé monastique. Ammonius, qui s’attendait à cette résolution violente du patriarche, avait pris d’avance ses précautions, et, quand les agens de Théophile arrivèrent, il leur fit voir son oreille, qu’il avait coupée lui-même, et dont la cicatrice était à peine fermée. « Votre voyage est sans objet, leur dit-il, car je suis un mutilé volontaire ; or ces hommes-là ne peuvent être admis dans le corps ecclésiastique, les canons le défendent. » Cela dit, il rentra dans sa cellule, aussi fier que s’il eût gagné une victoire. C’est ainsi qu’Ammonius avait échappé à l’épiscopat. Le troisième frère, Euthymius, attiré sous quelque prétexte dans Alexandrie, fut attaché à l’administration épiscopale par commandement exprès du patriarche ; mais, profitant d’une occasion favorable, il rompit ses liens et se sauva dans la profondeur des solitudes libyques. Eusébius, le quatrième, ne se montra pas moins sauvage. Un seul parmi les quatre succomba à l’ambition ou plutôt au désir d’être utile dans une autre voie que ses frères. Ce fut Dioscore, l’aîné, qui se laissa ordonner par Théophile évêque du diocèse d’Hermopolis la Petite. Il est vrai que ce triste et aride diocèse était celui des cellules et s’étendait sur les monastères de Nitrie et les ermitages de Scété :