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protection et de défense mutuelle. Ce sont les organes d’un mécanisme encore très imparfait sans doute, destiné plus tard à se modifier, peut-être même à disparaître entièrement, ainsi que tant d’autres systèmes, dans le développement de la vie industrielle : ce qui me paraît du moins certain, c’est qu’on ne réussirait point à les détruire par la force. Ces institutions, malgré leurs défauts, ont rendu de grands services à la classe ouvrière ; c’est surtout grâce à leurs efforts que la journée de travail a été réduite à dix heures en Angleterre[1]. Lorsque le ten hours’ bill qu’elles avaient depuis longtemps réclamé passa devant la chambre des communes, les orateurs ne manquèrent point pour annoncer la déchéance prochaine de l’industrie britannique. Dieu merci, l’état de plus en plus florissant des manufactures et des usines a donné un éclatant démenti aux sinistres prophéties des alarmistes. A plus d’un égard, la discipline de ces associations a été utile, elle a contribué en somme à élever l’habileté, le courage et l’intelligence des travailleurs[2].

On reproche, il est vrai, aux trades’ unions certaines mesures tyranniques consenties par les membres eux-mêmes en vue de sauvegarder les intérêts du métier ; mais n’est-ce point au prix de ces sacrifices que plusieurs d’entre eux avaient déjà conquis sous l’ancienne loi électorale leur liberté politique ? Croire que le prix du travail puisse être dicté arbitrairement par l’influence de certaines organisations ouvrières au lieu d’être réglé par le cours du marché serait sans doute une monstrueuse erreur économique ; est-ce bien d’ailleurs l’illusion que nourrissent les trades’ societies ? Les chefs intelligens de ces confréries sont les premiers à s’en défendre, et s’ils se proposent de maintenir à une certaine hauteur le tarif des salaires, ils savent très bien que les diverses industries se suicideraient en exigeant des maîtres au-delà d’une part raisonnable dans les bénéfices. Ces sociétés sont-elles d’ailleurs les seules en Angleterre qui aient voulu imposer un prix aux services de leurs membres ? Non vraiment, les professions libérales avaient donné l’exemple. Les confréries de docteurs en médecine et de légistes ont aussi leurs règlemens qui taxent d’une manière souveraine la bourse du public. Tout physician qui recevrait pour ses visites au-dessous du prix orthodoxe (une guinée) serait considéré par ses

  1. Elle était autrefois de douze, quatorze et même quinze heures. Encore ne faut-il point perdre de vue que les "ouvriers anglais jouissent maintenant pour la plupart d’un demi-congé (half-holiday) dans l’après-midi du samedi.
  2. Un des principaux avantages qu’ils aient recueillis de la pratique des trades’ societies a été d’apprendre à gouverner eux-mêmes leurs affaires. L’administration de si nombreux intérêts exige à coup sûr des lumières et des qualités personnelles ; aussi la plupart des ouvriers qui figurent à la tête de ces confréries sont-ils des hommes d’ordre, de conscience et de capacité.