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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/857

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l’hiver suspend les travaux, s’agitent des masses d’hommes désœuvrés qui menacent de déployer le drapeau noir de la faim. Jusqu’ici le danger n’est pas très grand, la force publique intervient avec prudence, et l’émeute rentre sous terre après avoir commis quelques actes de violence et de pillage. Le lendemain la charité intervient et au moyen de souscriptions locales apaise par des secours le mécontentement de la misère. N’y a-t-il pourtant point là l’indice d’un mal très sérieux et un avertissement dont les hommes d’état doivent tenir compte ? Quelques conservateurs s’effrayaient en 1866 des devises inscrites sur les drapeaux de l’agitation réformiste ; mais, qu’ils le sachent bien, il existe dans la Grande-Bretagne une autre menace plus formidable encore : c’est le sombre silence des masses sans opinion et sans idée. En donnant satisfaction aux vœux des ouvriers éclairés, l’état comprime le germe d’autres mouvemens qui seraient le désespoir et la honte de la civilisation. Dieu me garde pourtant de croire que le gouvernement anglais ait eu peur ; des motifs plus nobles ont sans doute déterminé sa conduite, et d’un autre côté comment s’expliquer le changement qui s’est fait en une année dans les idées du ministère et du parlement au sujet de la réforme électorale ? C’est ce qu’il reste à dire en indiquant le caractère et les conséquences de cette mesure politique.


III

Il serait injuste de supposer qu’une question de portefeuille ait aveuglé des hommes d’état dont la réputation et la valeur n’ont presque rien à attendre de l’éclat passager du pouvoir. Ayons meilleure opinion de la nature humaine et gardons-nous de croire qu’elle n’obéisse qu’à des intérêts personnels. Le sentiment de la justice, l’amour du bien national, ne sont point étrangers, Dieu merci, à ceux qui dirigent chez nos voisins les affaires du gouvernement constitutionnel. Dans un pays où domine l’esprit public, la responsabilité du pouvoir est immense. Tout lui fait un devoir de sacrifier quand il le faut ses propres vues et celles de son parti à la nécessité des temps. Nul mieux que M. Disraeli n’était préparé par son tempérament et par le tour de son intelligence à un grand acte d’abnégation politique. Il est de ceux qui, comme il le dit lui-même, « ont vu mourir dans leur vie beaucoup de privilèges, » et qui se résignent volontiers à la perte de quelques avantages tant qu’ils peuvent ressaisir un lien entre leur passé et les intérêts de l’avenir. Certains tories avaient depuis plusieurs années reconnu avec leur chef l’utilité d’une réforme dans le système représentatif ;