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M. Gladstone attendent avec confiance le flot qui tôt ou tard doit le ramener aux affaires-. Ces temps de défaite profitent aux hommes d’état eux-mêmes, qui acquièrent ainsi de l’expérience et sentent mieux le besoin de contracter des liens étroits avec la partie éclairée de la nation qu’ils représentent.

Quelle influence exercera une telle extension du suffrage électoral sur les destinées de l’Angleterre ? Telle est la question qui préoccupe tous les esprits sérieux. On raconte que Walter Scott, prenant beaucoup trop à cœur les intérêts de l’aristocratie, mourut en partie du chagrin que lui causa le reform bill de 1832. S’il avait pu voir les trente-cinq années de prospérité qui ont suivi cette grande mesure, il aurait sans doute été le premier à sourire de ses terreurs. Je n’ai point entendu dire que le second reform bill ait encore fait mourir personne ; mais des voix solennelles, parmi lesquelles on distingue celle de Carlyle, le dénoncent déjà comme un nuage chargé de toutes les tempêtes de l’avenir. Il faut ajouter que la majorité des Anglais ne partage nullement cette manière de voir. Le droit d’élection appuyé sur une base plus large ne change en rien les conditions morales d’un pays. On ne recueille jamais du scrutin que ce que l’histoire, l’éducation et les influences personnelles ont semé depuis des siècles au cœur de la nation. Parce qu’il existe aujourd’hui chez nos voisins un suffrage plus étendu, M. Disraeli en serait-il moins éloquent ? le marquis de Westminster en sera-t-il moins riche ? Tous les avantages de la naissance, de la fortune et du talent continueront très certainement de peser dans la balance des votes. Ce qu’on redoute, il faut le dire tout de suite, c’est la classe ouvrière, qui jusqu’ici était tenue à l’écart et qui a maintenant conquis sa part d’intervention dans les affaires de l’état. En quoi pourtant son accession serait-elle un danger ? La Grande-Bretagne est un des pays où depuis un demi-siècle on s’est le plus occupé des intérêts du travail. Tous les partis ont l’un après l’autre concouru à l’accroissement du bien-être et à la diffusion des lumières dans les rangs inférieurs de la société. Lord Stanley, par exemple, n’est-il point un des plus zélés promoteurs des mechanics, institutes ? Secondés tour à tour par les whigs et les tories, les ouvriers anglais se montrent aussi divisés entre eux sur le terrain des opinions que les hommes des autres classes. Il serait donc puéril de croire que leur influence se porte tout entière dans les élections du côté des mêmes candidats. Ceux qui auraient besoin de se rassurer n’ont d’ailleurs qu’à bien considérer l’esprit de la nouvelle loi. Dans les idées de nos voisins, la chambre des communes doit être une copie en miniature de la nation. Le pays est un mot vague : dans le pays, il y a des conditions sociales qui