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l’archevêque Lonovics. L’éminent prélat, aussi grand par l’intelligence que vénérable par la sainteté de sa vie, était le confident naturel du comte Széchenyi. Que de choses les unissaient l’un à l’autre ! même dévouement à la patrie, même douleur en face du grand désastre. La haute dignité de l’archevêque ne l’avait pas mis à l’abri des coups de la réaction ; Mgr Lonovics était interné à Vienne. Aussitôt que Széchenyi rentra en communication avec ses semblables, il exprima le désir de voir ce frère d’infortune et, suivant des témoignages qu’il n’y a pas lieu de récuser, le sentiment religieux eut part à ce désir autant que le sentiment patriotique. Aussi libre de préjugés vis-à-vis de l’église que de respect humain en face de la foule, Széchenyi était un de ces catholiques de vieille race qui tendent chaque jour à disparaître des contrées latines. On ne connaît pas de parti théocratique dans un pays où la cause nationale domine tout ; on ne connaît pas les disputes d’église dans un monde où l’union des cœurs est une nécessité de salut public. On est protestant ou catholique suivant la naissance et l’éducation ; avant tout, on est homme sur le sol commun de la culture chrétienne. Les subtilités maladives propres aux temps de décadence n’ont pas encore envahi ces âmes simples ; il n’y a là par conséquent ni impiété systématique ni fanatisme de coterie. C’est le plus simplement et le plus naïvement du monde que Széchenyi, avant de recommencer sa vie intellectuelle, voulut pour ainsi dire en consacrer le début par un entretien avec l’archevêque Lonovics. La Hongrie était le principal sujet de leurs préoccupations ; l’âme du malade, l’âme tourmentée de Széchenyi ne fut pas oubliée, croyez-le bien, en cette consultation touchante. S’il restait encore quelque scrupule injuste, quelque remords fébrile dans la conscience trop délicate du solitaire, la parole du prélat hongrois effaça ce dernier vestige de sa folie.

Et maintenant viennent les visiteurs de toute sorte ! Que chacun lui raconte ce qu’il a vu, que les journaux, les brochures, les livres, lui apportent chaque jour les faits du monde politique et les mouvemens de l’opinion ! Une vie nouvelle, entremêlée sans doute de cruelles défaillances, mais enfin une vie nouvelle a commencé pour le prisonnier volontaire de Döbling. Si vif est son désir de savoir, si pénétrante est la sagacité de son esprit, que deux ou trois ans plus tard un hôte admis pour la première fois dans la retraite du comte Széchenyi est vraiment émerveillé de le voir informé de tous les détails, instruit de tous les secrets, nageant enfin, on peut le dire, en plein courant de la vie publique.

« Ce fut un soir, au mois d’octobre 1857, que j’allai pour la première fois à Döbling, dans l’établissement de fous du docteur Görgen, visiter le comte Széchenyi. Long et mélancolique était le chemin au milieu des