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curieuse. C’étaient de vraies conférences politiques sous la présidence du comte Széchenyi. Quelle devait être la constitution de la future Autriche ? On avait l’épreuve de la centralisation oppressive ; sous quelle forme retrouverait-on la vie, la libre vie des races diverses, sans nuire à l’unité de l’empire ? Fédération des peuples autonomes ou bien dualisme de l’Autriche allemande et de l’Autriche hongroise, toutes ces questions qui ne sont pas encore résolues étaient traitées par Széchenyi avec autant de loyauté que de modération. On eût dit le signal d’une période nouvelle, et il semblait que la renaissance espérée de la Hongrie achevait déjà la guérison du comte.


III

Confiance naïve ! espoir trop Vite déçu ! après deux mois d’efforts inspirés par le meilleur esprit, M. de Hübner fut obligé de se retirer. Ses idées sur la transformation constitutionnelle de l’empire, si timides qu’elles fussent, avaient déplu comme des témérités. Un des personnages appelés au ministère en ce remaniement du mois d’octobre 1859, M. le baron. Thierry, chargé de la direction de la police, arrivait au pouvoir avec toutes les rancunes de l’administration antérieure. Figurez-vous M. de Bach prenant sa revanche par l’entremise de l’un de ses disciples. Même obstination à repousser tous les vœux de réforme, même poursuite de l’unité qui tue ; nulle différence avec la réaction dont on s’était cru délivré, si ce n’est que des mains plus brutales maniaient le joug et le bâillon. Décidément il fallait encore d’autres épreuves que la guerre d’Italie pour dissiper l’aveuglement de la cour de Vienne.

Ces secousses avaient nécessairement leur contre-coup dans l’âme du comte Széchenyi. Un des plus graves symptômes et l’une des causes perpétuelles de son mal, c’était l’extrême sensibilité avec laquelle il accueillait tout motif d’espérance ou de crainte. Au moment où le système de M. de Bach se détraquait, M. de Kecskeméthy apportant des nouvelles à Döbling assista un soir à une scène singulière : le comte, après avoir écouté son hôte, prit aussitôt sa csákány, une sorte de flûte hongroise dont il jouait volontiers, et se mit à exécuter un air joyeux, tout en faisant maintes pirouettes avec une gaîté fébrile. Il portait ce jour-là un costume bizarre, moitié hongrois, moitié turc, car il avait la manie des habillemens fantasques. Est-ce bien là le grand Magyar ! se disait M. de Kecskeméthy, et involontairement il pensait au roi Lear « chantant de toute sa force, couronné de fumeterre rampante, de bardane, de coquelicots et d’ivraie. » Est-ce bien le grand Magyar, cet homme vêtu comme un pacha et se trémoussant comme un baladin ? Ce qui