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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/910

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fortune à l’exception de quelques legs domestiques. Jouissez-en le plus longtemps possible, car vous en ferez bon emploi, je le sais de reste. Aussi n’ai-je point songé à vous imposer la moindre condition. Je me borne à quelques suggestions qui ne doivent vous lier en rien, si elles vous gênent ou vous contrarient. Je voudrais qu’il vous convînt d’occuper ma maison de Portland-Place. Je l’ai habitée assez longtemps pour lui porter quelque intérêt, et il me semble que si, de là-bas ou de là-haut, j’ai conscience de ce qui se passe dans ce monde, j’aimerai à vous retrouver en possession de ces vieux appartemens où j’ai passé tant et tant d’années. Une autre demande (celle-ci me coûte, j’en conviens), c’est que vous renonciez à la pratique active et quotidienne de votre profession : non que je veuille vous condamner à une oisiveté qui vous pèserait et priver tel ou tel malade en grand danger du bénéfice de vos lumières ; mais il me répugne de savoir un talent comme le vôtre asservi aux exigences, aux caprices d’une clientèle quelconque. J’entends que, libre de tout souci pécuniaire, vous ne soyez plus dans la dépendance de qui que ce soit, — qu’une belle dame ne se croie pas autorisée à vous mander pour un panaris, un parvenu de la finance pour s’être oublié devant une table trop bien servie… On me taxera peut-être d’égoïsme en me voyant priver les autres des secours que j’ai tant de fois invoqués moi-même. Vous ne vous y tromperez pas, vous, Chudleigh. Mon unique pensée est de vous arracher à un travail excessif, qui absorbe une trop grande portion de vos facultés et vous prive de tout ce que la vie a de meilleur. Vous n’iriez pas loin sur le chemin où vous êtes, et, croyez-en un vieillard qui a su employer chaque heure de son existence, il y a dans la vie autre chose à gagner que le renom acquis à restaurer quelques santés délabrées. Ce qu’est cette « autre chose, » vous le découvrirez peut-être un jour de vous-même ; j’aurai fait mon possible pour vous en donner les moyens. »

Wilmot regarda la date ; elle le reportait à plus d’une année. Deux allusions lui avaient été particulièrement sensibles : l’une concernait mistress Wilmot, « dont l’excellent goût remettrait en bon ordre l’habitation de Portland-Place. » M. Foljambe disait ailleurs : « Selon toute probabilité, vous serez auprès de moi quand l’heure finale sera venue… » en bien ! non. Ce pressentiment ne s’était pas réalisé. Aux derniers momens de son bienfaiteur comme aux derniers momens de Mabel, la présence de Wilmot avait manqué. Une sorte de fatalité semblait le condamner à ne jamais se trouver auprès des siens quand son devoir et les circonstances l’y appelaient de la manière la plus impérieuse. Cette réflexion avait bien son amertume ; toutefois, comme en dépit de lui-même, notre docteur se sentait irrésistiblement appelé à des pensées d’un autre ordre.