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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/96

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REVUE DES DEUX MONDES.


Chose triste à dire, cette séparation leur profita près des gens qui n’aimaient pas l’archevêque. Celui-ci fut blâmé d’abandonner ainsi dans le péril des supplians venus des extrémités de l’Orient se placer sous son aile et de sacrifier la cause de ses hôtes à son orgueil de prêtre, qui ne voulait pas qu’un autre prêtre, si criminel qu’il pût être, fût traduit devant un tribunal laïque, fût-ce même le tribunal de l’empereur. On exaltait au contraire le courage de ces honnêtes gens, qui brisaient de gaîté de cœur leur dernier appui plutôt que de subir patiemment l’infamie. À mesure que l’intérêt se reportait sur eux, les ennemis de l’archevêque en prenaient occasion pour noircir sa conduite, et l’infortune des moines de Nitrie fut un sujet d’incrimination contre lui. On prétendit que ce cloître où il les avait enfermés était réellement une prison, qu’ils y supportaient les plus durs traitemens, et qu’un d’entre eux étant mort de misère et de faim (on parlait vraisemblablement d’Isidore), Chrysostome avait refusé de lui rendre les devoirs dus aux mourans. Ceci pouvait être vrai, car la règle ne lui permettait pas d’entrer en communion de sacremens avec des gens frappés de séparation canonique. La cour encourageait de tout son pouvoir ce revirement de l’opinion, et en dépit des menées de Théophile les moines de Nitrie y devinrent à la mode par opposition à Chrysostome. Non-seulement on les encouragea dans leur résolution de demander justice à l’empereur, non-seulement on leur fit déposer leur placet, suivant les formalités voulues, à l’office du prétoire impérial, mais comme la réponse tardait, vu la lenteur des procédures, on leur mit en tête de recourir à l’impératrice elle-même, qui, disait-on, ferait marcher l’affaire comme il convenait.

Un jour donc qu’Augusta était attendue pour la célébration des mystères à l’église de Saint-Jean-Baptiste, au faubourg de l’Hebdomon, les moines de Nitrie s’y rendirent, les Longs-Frères à leur tête, et se tinrent rangés en bon ordre sur le passage de l’impératrice. Eudoxie arriva, entourée de gardes et assise dans son char impérial. La vue de cette troupe de moines supplians lui causa un instant de surprise ; puis, les reconnaissant à l’étrangeté de leur costume non moins qu’à la haute taille de leurs chefs, elle se pencha hors de sa voiture et fit signe aux Longs-Frères qu’elle désirait leur parler. Quand ils furent proches, elle leur dit : « Donnez-moi votre bénédiction, mes frères, et priez pour moi, pour mes enfans, pour l’empereur et aussi pour l’empire. Je sais quelles sont vos demandes, et il ne dépendra pas de moi qu’un synode ne soit convoqué au plus tôt pour vous donner la satisfaction que vous méritez. Je veux en outre que votre patriarche soit mandé ici pour y répondre du mal qu’il vous a fait. » Les Longs-Frères et leurs compagnons se retirèrent le cœur joyeux. Un grand pas était fait. Eudoxie prenait