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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/967

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ne sait combien de temps se serait prolongée cette léthargie, si les Magyars n’avaient pas renouvelé leurs attaques et voulu substituer leur propre idiome au latin, qui formait encore, il y a trente ans, la langue politique universelle des peuples de la vallée du Danube. A partir de ce moment, le clergé croate, grec et catholique, en, dehors du clergé tout ce que le pays renfermait d’hommes intelligens se mit avec passion à la recherche des traditions du passé. A la tête du mouvement, on vit le comte Draschkowitz, magnat influent, et l’ardent Gaj, jaloux d’arriver à la gloire de Kollar, le grand poète des Serbes, un homme de qui l’on peut dire qu’il a communiqué son enthousiasme à toute la Croatie et rendu aux Slaves du sud le sentiment de leur fraternité ethnographique et de leur dignité morale. Malgré tout le succès de leurs publications et de leurs discours, ni Gaj ni Draschkowitz ne pouvaient espérer affranchir pacifiquement leurs nationaux de la domination hongroise. En 1845, un autre poète érudit, M. de Kukuljevic, posa et fit adopter le programme d’après lequel la Croatie et la Slavonie devaient être déclarées administrativement indépendantes de la Hongrie. La ville d’Agram serait érigée en archevêché et dotée de grands établissemens d’instruction de façon à devenir le centre intellectuel des Slaves du sud. La Dalmatie serait enfin unie de nouveau intimement à la Croatie et à la Slavonie pour compléter le royaume triple et un. Ce mélange de demandes politiques et littéraires ne prit pas à l’improviste le prince de Metternich, fort préoccupé dès lors des résistances qu’il rencontrait en Hongrie. Il usa d’atermoiemens, et ne prit parti ni pour les Magyars ni pour les Croates ; mais il fit certaines concessions à ces derniers et accepta de la main de Gaj le jeune Jellachich comme ban de Croatie. Il lui parut habile de laisser les Magyars s’engager de plus en plus dans la voie des emportemens et s’ôter par là tout crédit à Agram ; c’est à cela qu’ils arrivèrent en effet en voulant obliger les délégués croates à la diète de Pesth à employer la langue magyare. En 1847, ceux-ci quittèrent Pesth : les Croates et les Magyars étaient désunis, et aux premières difficultés du cabinet de Vienne avec la Hongrie les Croates se trouvèrent prêts à entamer une vigoureuse guerre de race. Ils déclarèrent rompu tout lien avec la Hongrie, et se dévouèrent avec un courage irréfléchi pour venir en aide à l’Autriche sans rien demander de positif en échange de leur concours. Cependant, tandis que les chefs militaires agissaient, les chefs politiques discutaient. Éblouis par ce réveil des instincts slaves sur tous les points de l’empire d’Autriche et par l’écho retentissant des discours prononcés par les députés slaves de Bohême aux diètes de Vienne et de Kremsier, le petit groupe des poètes et des érudits