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aucun intérêt contraire à la Prusse ou du moins à l’Allemagne libérale, et l’Allemagne de son côté n’a aucun intérêt contraire à l’Autriche. Ce n’est pas à la monarchie des Hohenzollern, devenue puissance exclusivement allemande, qu’il peut convenir de tenter l’absorption de la Bohême, où son système, nécessairement centralisateur, aurait à compter avec les résistances des Tchèques, et d’autre part l’Autriche n’a plus d’intérêt à faire mouvoir les ressorts au moyen desquels elle soutenait autrefois son action en Allemagne, car, à suivre encore une politique trop germanique, elle ne manquerait pas d’éveiller les susceptibilités des races diverses qui la peuplent, comme cela est arrivé de 1850 à 1866. La Prusse et l’Autriche ont donc en résumé leur sphère d’action et leur mission historique très nettement définies. La Prusse doit être la grande puissance germanique ; l’Autriche doit être une vaste fédération de peuples guidée par le génie magyar et le génie allemand. Les populations slaves, entrées aujourd’hui en possession d’une large autonomie provinciale et d’un contrôle puissant sur la politique générale de l’état, tiennent entre leurs mains les élémens essentiels de leur développement. Il faut qu’elles soient ralliées à leur patrie vraie, l’Autriche, par l’attrait des mœurs publiques et par le prestige des succès qu’obtient toujours un bon gouvernement. Soustraites, par cette vue plus nette de leurs véritables intérêts, aux influences de la Russie, elles permettraient à l’Autriche de s’étendre lentement et par une pente naturelle vers le Danube et la Mer-Noire.

La nouvelle Allemagne comprend d’ailleurs qu’une nouvelle guerre entre l’Autriche et elle ne profiterait qu’à la Russie. La Prusse y gagnerait à peine de dominer encore sur 8 millions d’Allemands dispersés de l’Elbe à l’Adriatique, et la Russie aurait en retour ces vastes territoires slaves où elle cherche à planter pour l’avenir les jalons de sa domination. L’instinct de la race moscovite a vite saisi que l’alliance intime entre l’Allemagne unitaire et l’Autriche régénérée devait marquer un temps d’arrêt à sa marche vers l’Europe, et comme elle n’a pu ou voulu empêcher l’unité allemande, elle travaille aujourd’hui avec un redoublement d’énergie à empêcher l’Autriche de se relever de sa défaite. Ce ne sont pas les nationalités qui sont en cause ici, c’est le fanatisme de la race. Puissent les hommes d’état autrichiens réussir à détourner cette invasion du panslavisme et les dangers dont il menace notre civilisation occidentale !


L. BULOZ.