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destructions opérées pour l’embellissement de Paris. L’avenir sera étonné qu’un fonctionnaire ait pu avoir la faculté d’employer en si peu d’années une telle somme et d’exercer sur les variations de la richesse générale à Paris une si vaste influence sans que ces ressources lui aient été accordées, après une délibération et un contrôle préalables, par un corps quelconque représentant les contribuables, qui ont fait et qui auront à faire dans l’avenir les frais du milliard des embellissemens de Paris. On parle beaucoup depuis quelque temps des inconvéniens et des périls du gouvernement personnel. Il paraît que ce procédé gouvernemental a une influence contagieuse et trouve d’ardens imitateurs chez certains agens de l’administration. Il n’y a pas d’acte de gouvernement plus excessif que celui dont M. Haussmann vient de nous révéler les résultats. Dans le plan primitif du préfet, tous les excédans annuels des revenus de Paris étaient, dans une période de dix ans, absorbés d’avance par les dépenses soldées à terme. Aujourd’hui cette dette flottante, à laquelle subvenaient les ressources réunies par le Crédit foncier au moyen des obligations communales, va être consolidée en un emprunt considérable et amortissable à long terme. Cet emprunt sera soumis au corps législatif. Il fournit à cette assemblée une rare occasion de montrer le degré d’attention qu’elle est capable d’appliquer aux affaires positives du pays. La méthode de travail que M. Haussmann vient de nous dévoiler surprendrait fort les hommes d’état financiers de l’Angleterre, si attentifs à s’entourer de toutes les précautions légales, si résistans à escompter les ressources futures. M. Gladstone, l’homme d’état financier le plus estimé de notre temps, pousse sur ce point le scrupule aux dernières limites. Si par impossible la chambre des communes était prise un jour du délire de la dépense, et voulait, en engageant l’avenir, satisfaire à grand prix les fantaisies des contemporains, M. Gladstone n’hésiterait point à défendre contre de pareils entraînemens la probité de la politique financière, qui n’admet point que l’avenir soit sacrifié au présent pour l’agrément et même pour l’utilité de celui-ci. Entre deux pays si voisins, associés sur tant de points à la même civilisation, qui pourra expliquer des différences si notables d’esprit, de caractère, de conduite ? C’est que la liberté a fait depuis longtemps les mœurs en Angleterre, et y a en même temps redressé le dérèglement des initiatives envahissantes du pouvoir. Quant à nous, Français, grâce aux fréquentes éclipses de nos libertés, nous en sommes restés à nos insouciances, à nos frivolités, à nos folies de l’ancien régime. Les excès de pouvoir sont un jeu chez nous, et deviennent une habitude contre laquelle on ne songe plus à se récrier. Les étourderies et les jactances de nos ancêtres les ont conduits à de terribles réveils. Dieu fasse que nous apprenions à une école moins sévère les égards dus aux droits de tous et le loyal respect des lois ! e. forcade.