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sacrifier l’une à l’autre ? M. Schmidt n’en a pas moins une théorie toute prête pour montrer, par l’exemple des États-Unis, de l’Angleterre et même de la France, que l’unité a été dans tous les temps l’acheminement nécessaire à la liberté. Soyons francs : quelque indestructible que soit, selon lui, la liberté, dont les germes remplissent aujourd’hui l’espace et ne sauraient être étouffés, elle est bien près de lui paraître une idée, et les Allemands ont pris depuis quelque temps les idées en grand dédain ; ils ont la fièvre de l’action, ils en sont possédés jusqu’à la manie, jusqu’à la rage. Ils devraient être satisfaits du ministre suffisamment actif que la Providence leur a donné. Point : il leur faut une main plus puissante, plus agissante encore et plus irrésistible. M. Schmidt disait en 1850 : « L’Allemagne a besoin de l’unité, non des pompes impériales. » Il reprend ce mot aujourd’hui, et il dit : « L’Allemagne n’a pas besoin de pompes impériales, mais elle a besoin d’un empereur. » M. Schmidt est décidément sous le charme, les noms d’empire et d’empereur sont un philtre qui l’enivre, comme beaucoup d’Allemands, et dont je ne me chargerai ni d’expliquer la puissance ni de dissiper les effets. Il n’y a qu’à renvoyer M. Schmidt à une conseillère à laquelle il se vante de déférer toujours ; l’histoire le convaincra peut-être que la liberté a rarement prospéré à l’ombre des couronnes impériales.

Nous n’en voulons nullement à M. Schmidt d’adresser, dans les dernières lignes de son livre, un conseil de sage défiance à ses compatriotes. Que tous les partis aient l’œil sur l’étranger, qu’ils soient prêts à se réconcilier et à se donner la main au premier signe de mauvais vouloir qu’ils pourront apercevoir chez des voisins que M. Schmidt ne nomme pas ; ce patriotisme ombrageux ne nous blesse nullement. Nous voudrions seulement que les patriotes allemands y joignissent une autre espèce de défiance ; nous voudrions que, satisfaits à cette heure d’être une nation forte, inattaquable, on les vit moins avides d’action à tout prix, moins prompts à tout abjurer entre les mains du Chef qui les mène, et à faire fi des humbles garanties de la liberté. S’ils aiment la paix, comme ils le disent, ils devraient moins vanter la force et être un peu plus nos complices dans la poursuite de la liberté, seul moyen de condamner à la rouille le fusil à aiguille et le Chassepot. Qu’ils le sachent bien, la liberté sera toujours plus pacifique que l’empereur.


P. CHALLEMEL-LACOUR.



Gros, sa Vie et ses Ouvrages, par J.-B. Delestre. Paris, J. Renouard, 1867.


Otez de ce livre ce qu’il renferme de rhétorique hors de saison, d’apostrophes aux détracteurs de Gros, morts comme lui depuis longtemps,