Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réclamations ne furent pas écoutées. Gamaliel dirigea aussi un travail de révision des sentences et de la jurisprudence traditionnelles de manière à les enlever autant que possible à l’arbitraire individuel de chaque rabbin. Ce fut un premier pas vers la systématisation de cet énorme fatras de traditions orales qui devait plus tard se fixer par écrit dans le Talmud. L’admission dans les écoles dut être précédée d’une espèce d’examen de conscience. La mise au ban de la synagogue, ce que l’église chrétienne appelle l’excommunication, fut renforcée dans ses rigueurs et appliquée à plus d’un rabbin récalcitrant. En même temps le patriarche introduisait des coutumes tendant à relever sa dignité personnelle. Il froissa tant d’amours-propres, que pendant quelques années il fut déposé lui-même ; mais il fut réintégré avant sa mort, et ses successeurs suivirent la même politique.

L’un de ses plus notables assesseurs fut ce rabbi Akiba que nous avons vu jouer un rôle si actif avant et pendant l’insurrection de Bar-Kochba. Sa biographie a quelque chose de romanesque qui la distingue de l’histoire, ordinairement très prosaïque, de tous ces braves rabbis. Sa famille prétendait descendre de Sisera, le chef chananéen tué par Jahel la Kénienne au temps des juges d’Israël. Il était dans sa jeunesse au service d’un riche patriote de Jérusalem, et s’était épris de la fille de son maître, la belle Rachel, qui le paya de retour et lui promit sa main, s’il parvenait à se faire rabbin. Akiba, qui n’avait reçu aucune instruction, se mit alors à étudier avec un zèle et une persévérance incroyables, tandis que la jeune fille, chassée par son père, vivait dans le plus complet dénûment. A la fin, ils se marièrent, mais ils restèrent pauvres, au point que Rachel dut un jour vendre sa magnifique chevelure pour ne pas mourir de faim avec son mari. Tel était l’homme qui souffla le feu de la révolte par tout, le monde juif et laissa des traces profondes dans la tradition rabbinique. Par un bizarre mélange d’enthousiasme et de subtilité, c’est lui qui élabora le système affreux qui engendra tant de sottises décorées du nom d’interprétations de l’Écriture, d’après lequel chaque syllabe, chaque lettre, chaque anomalie grammaticale ou orthographique du texte consacré a un sens mystérieux que la sagacité des docteurs doit démêler[1]. Un autre rabbin du même temps, R. Josué ben-Chanania, présente un contraste intéressant avec l’intraitable Akiba. Doux et conciliant, il aurait voulu pacifier les rapports entre les Juifs et les Romains. Il était extrêmement laid, et comme il faisait partie d’une députation

  1. Déjà l’habitude était prises par les copistes de l’Écriture sainte de respecter jusqu’aux fautes d’orthographe échappées à l’attention de leurs prédécesseurs.