Kurdistan qui avait été enlevé dans la tente du shah de Perse par Soliman le Magnifique. Le fond en était gros bleu, couvert’d’arabesques bleu pâle et argent avec des angles rose de Chine et turquoise. Après plus de trois cents ans d’usage, les couleurs en étaient restées aussi fraîches que le premier jour. Quoi d’étonnant ? Il y a des tons, tels que le turquoise ou le vert-de-gris, le rose orangé ou le lilas, qu’ils teignent jusqu’à soixante fois de suite. Lorsque l’été arrive et qu’il est temps de rouler les tapis, on les dépose d’abord pendant quinze jours au fond de la rivière, et ils en sortent plus éclatans que jamais. Quelle solidité, quelle symphonie de couleurs, quel goût dans le dessin ! Comme les distances dans les bordures et dans la division des espaces sont bien comprises et bien gardées ! Tel est le fruit de la science traditionnelle. Hélas ! déjà l’influence européenne, facile à discerner au Champ de Mars dans quelques échantillons malheureux, nous fait trembler pour l’avenir de cette grande industrie, qui remonte sans discontinuer aux époques premières des sociétés humaines.
Admirez ces coffres, ces reliures, ces miroirs, dont les arabesques sont peintes sur carton-pâte et vernies ensuite au doigt comme les laques de Chine. Jamais travail plus exquis, plus fin, n’a été exécuté par la main humaine. Chardin en avait apporté de Perse les secrets, et c’est alors qu’apparut chez nous le vernis qu’on appela vernis Martin, du nom du peintre français qui en propagea l’usage. Et ces broderies à l’aiguille sur les chemises ou les vêtemens, combien elles nous font amèrement sentir l’infériorité de nos moyens perfectionnés !
A côté de la Perse se trouve la Turquie. Cette année, au lieu de la place trop modeste qu’elle occupait en 1855, elle couvre le plus grand espace de toutes les puissances d’Orient. On s’imaginait généralement en France qu’à part les pantoufles et les tuyaux de pipe, l’essence de rose et les pastilles du sérail, il n’y avait plus rien à demander à l’industrie de ces contrées. La Turquie nous prouve que, si ses fabriques ne sont plus aussi nombreuses et aussi occupées qu’elles l’étaient jadis, elles n’ont pas encore perdu complètement ce sens de la couleur et de la ligne qui placera toujours la fabrication orientale, si primitifs qu’en soient d’ailleurs les procédés, au-dessus de tout ce que produit à grand renfort d’inventions et de machines notre Europe civilisée ! Ah ! c’est que là est le soleil, ce grand coloriste, qui non-seulement vivifie les matières premières et couvre tout des vives nuances de ses éclatans rayons, mais qui permet en outre de vivre sans contrainte au milieu de ces splendeurs et d’en remplir ses yeux.
Nous lisions dernièrement dans un compte-rendu sur