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et voici ce qu’elle dit : Dans les temps de pluie et de fonte de neige, le résidu limoneux des eaux de la Seine s’élève à 1 et 2 grammes par litre, de plus elle contient environ 2 ou 3 pour 100 de matières organiques ; en général, dans la saison normale, l’eau prise au centre de Paris renferme par litre 16 centigrammes de carbonate de chaux, 2 de carbonate de magnésie, 2 de sulfate de chaux et quelques milligrammes de chlorurés alcalins et de nitrates. — Certes une telle boisson est potable ; mais est-ce bien l’eau de la Seine qui abreuve Paris ? Les Parisiens de la rive gauche boivent l’eau de la Seine, les Parisiens de la rive droite boivent l’eau de la Marne. Des expériences sérieuses et concluantes ne laissent aucun doute à cet égard. Les deux rivières se côtoient sans se mêler pendant qu’elles traversent Paris entre les mêmes bords, sur le même lit ; c’est en vain qu’elles se heurtent entre les piles des ponts, qu’elles sont agitées par les bateaux à vapeur : elles se conservent presque pures malgré leur contact forcé. Il faut qu’elles soient attirées et comme barattées dans le grand coude que la Seine fait en face de Meudon pour perdre leurs qualités distinctes et devenir réellement une A Sèvres seulement, le mélange est complet, et l’eau est enfin absolument uniforme.


I

La topographie de la Seine a souvent changé ; je ne parle pas seulement de ses berges, où les quais, commencés en 1312 par Philippe le Bel, n’ont été achevés que de nos jours. La vallée de la Misère est devenue la place du Châtelet, la promenade plantée de saules et chère aux Parisiens est aujourd’hui le quai des Grands-Augustins, l’Écorcherie s’appelle le quai de Gèvres ; en passant devant le quai d’Orsay, bâti en 1802, Néel, à la fin du siècle dernier, pouvait écrire dans son burlesque Voyage à Saint-Cloud par terre et par mer : « J’estimai que ce que je voyais était ce que nos géographes de Paris appellent la Grenouillère, parce que j’entendis effectivement le coassement des grenouilles. » Les peaussiers, les mégissiers, qui, habitant les bords de la Seine, avaient baptisé le quai de la Mégisserie, sont relégués avec les tanneurs dans le faubourg Saint-Marceau, à côté de la Bièvre ; les bouchers ont vu leurs abattoirs, qui jadis ensanglantaient les environs de l’Hôtel-de-Ville, repoussés vers les quartiers excentriques. Lentement, mais incessamment la Seine s’est épurée, elle a rejeté loin de ses rives tous les corps d’état malfairans qui les encombraient : elle est aujourd’hui exclusivement réservée à la navigation, à la batelerie et aux industries spéciales qui s’y rattachent et vivent forcément sur l’eau ; mais ce ne sont pas seulement les rivages de la Seine qui ont subi