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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/19

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passionnée et douloureuse, car il devait en coûter beaucoup à ceux qui prétendaient fonder enfin la nation allemande de repousser les provinces si essentiellement allemandes de l’Autriche, et, au moment de reconstituer le corps germanique, il était dur de lui amputer un de ses principaux membres. Aussi quand le poète Arndt, le chantre de la grande patrie, eut émis son vote, il tomba évanoui sur son banc[1]. L’éloquence et l’autorité de M. Henri de Gagern firent enfin pencher la balance longtemps incertaine en faveur de l’Allemagne restreinte. L’assemblée adopta à une forte majorité l’article suivant, qui de fait excluait l’Autriche : « Aucune partie de l’empire ne pourra être réunie en un seul état avec des pays non allemands. » On voit d’où date l’article IV de la paix de Prague.

Pour faire comprendre le mouvement unitaire actuel, il faut rappeler en quelques mots les brusques péripéties de l’année 1850, car c’est de là que sont sortis les événemens de 1866. Le parlement de Francfort offrit, on s’en souvient, la couronne impériale héréditaire au roi de Prusse ; mais, quoiqu’il eût promis au peuple soulevé d’être « le roi allemand » et que l’agrandissement de son pays fût la constante ambition de sa vie, Frédéric-Guillaume n’osa pas accepter. Orateur éloquent, poète mystique, il n’était pas homme d’action ; l’esprit était brillant, mais la volonté faible. Dominé par des idées d’ancien régime que les insurrections de Berlin venaient de raviver en lui, il ne voulait pas pactiser avec ; « la révolution ; » il savait d’ailleurs qu’il n’aurait pu conserver la couronne impériale qu’au prix d’une guerre avec l’Autriche appuyée sur la Russie. Toutefois il essaya de reprendre l’œuvre de l’unité en lui donnant une tournure moins révolutionnaire. Il voulait constituer « une Allemagne restreinte » en faisant accepter sa suzeraineté par les petits états. A cet effet, il conclut le 26 mai 1849 un traité avec les rois de Hanovre et de Saxe, puis, s’appuyant sur les hommes du parti de Gotha, c’est-à-dire sur les députés modérés du parlement de Francfort, déjà dissous, il convoqua un autre parlement à Erfurt. Frédéric-Guillaume suivait alors les conseils du général von Radowitz, écrivain distingué et érudit, esprit élevé, homme d’état philosophe, patriote ardent, aspirant à bâtir une Allemagne glorieuse sur la base solide de la monarchie prussienne, mais aveuglé évidemment sur les difficultés presque insurmontables que présentait l’œuvre à laquelle il s’était dévoué, et incapable de les surmonter. Il voulait donner l’hégémonie à la Prusse sans l’appui de la révolution et sans

  1. M. Saint-René Taillandier a raconté ces scènes avec une grande sagacité et une vraie éloquence (voyez les nos des 1er juin, 1er juillet, 1er août et 1er octobre 1849). On ne peut remuer ces cendres d’un passé si rapproché sans être ému, en pensant à l’incendie qui en est sorti.