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LE TERRITOIRE
DE LA
COMPAGNIE DE LA BAIE D'HUDSON

Passage du Nord-Ouest par terre, par lord Milton et M. Cheadle ; Londres.

Il y a une quarantaine d’années, le monde d’au-delà de l’Atlantique fut vivement excité par l’apparition d’un livre assez étrange et singulièrement monotone. Un Américain appelé Tanner, enlevé dans sa jeunesse par les Indiens, devenu sauvage, puis entré au service de la Compagnie de la baie d’Hudson et redevenu civilisé, venait d’écrire ou de dicter ses souvenirs de la vie indienne. Dans ce temps-là, l’humanité s’intéressait à elle-même ; on était curieux de connaître les sentimens d’un sauvage et de les comparer à ceux d’un civilisé. Par malheur, tant qu’il avait été sauvage, Tanner n’avait pas pensé ; ses souvenirs se bornaient à dire : « Tel jour j’ai mangé, et tel autre jour j’ai eu faim. » L’incident de son mariage offrait lui-même peu d’intérêt. Une femme s’approche, prend la pipe qu’il avait entre les dents, en tire trois ou quatre bouffées de tabac et la lui rend. Ce manège répété deux fois, Tanner eut une femme pour lui raccommoder ses mocassins, et l’Indienne un mari pour lui tuer du gibier. Il n’est pas vrai que les animaux diraient des choses intéressantes, s’ils pouvaient parler ; on n’a rien à dire quand on ne pense pas, et le sauvage, qui vit d’instinct comme la brute, ne saurait se peindre lui-même : des civilisés seuls peuvent raconter sa vie. Sous ce rapport, le livre que nous allons essayer de faire connaître remplit toutes les conditions désirables. Deux civilisés, bien plus deux enfans gâtés de la civilisation,