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devenir navigable et Saint-Paul, sur le Mississipi, il y a un chemin de fer en voie de construction. Quand cette route sera achevée, une nouvelle grande subdivision du continent américain, comprenant un demi-million de milles carrés, sera ouverte à la civilisation. » Un agent américain, envoyé par le gouvernement du Minnesota pour reconnaître la valeur réelle du pays de la Rivière-Rouge et du Saskatchewan, termine ainsi son rapport : « En résumé, c’est un pays digne qu’on lutte pour l’obtenir (a country worth fighting for), et je suis heureux d’avoir à rappeler le concours rapide des événemens, qui montrent que la frontière, qui jusqu’ici s’arrêtait aux sources du Saint-Laurent et du Mississipi, va bientôt être reculée par la marche de la civilisation anglo-saxonne. »

Malheureusement pour l’Angleterre, l’extrémité occidentale du Lac-Supérieur est un mauvais point de départ. Le véritable colon s’avance avec ses chevaux, ses bestiaux, ses voitures et ses outils ; il apporte avec lui tout le matériel de l’agriculture et féconde la terre. Une avant-garde de pionniers a besoin d’être soutenue par des renforts successifs. Tous les établissemens qui, une fois formés, ont été laissés à eux-mêmes, ont vite perdu de leur importance ; on en a pour preuve la colonie fondée au commencement de ce siècle par lord Selkirk, dont elle porte encore le nom, et les autres établissemens de la Rivière-Rouge, qui sont restés stationnâmes, tandis que tout grandissait au sud et à l’est. Malheureusement aussi la navigation de la baie d’Hudson est très difficile ; il faut remonter vers le pôle, doubler l’énorme presqu’île du Labrador et descendre ensuite au milieu des brouillards et à travers des montagnes de glaces flottantes. Le Nelson est fermé par les glaces six ou sept mois de l’année. À l’embouchure du Saskatchewan dans le lac Winnipeg s’amoncellent des glaces qui ne fondent qu’à la fin de l’été. Évidemment ce pays veut être colonisé par le sud. Jusqu’à présent, le Minnesota s’est plus occupé d’attirer sur son territoire le transit anglais que de s’emparer des terres anglaises ; mais la population du Minnesota double tous les deux ans, le cadastre des terres fédérales vient d’atteindre la Rivière-Rouge. Que le principal courant d’émigration, qui se porte aujourd’hui vers l’ouest, change un instant de direction et se précipite vers le nord-ouest ; que l’on se sente à l’étroit dans le Minnesota : pendant que les cabinets de Washington et de Saint-James échangeront des notes, des aventuriers du Minnesota et des mécontens de Selkirk décideront pratiquement la question ; ils s’uniront pour massacrer les Indiens et les demi-sang. Un chemin de fer sera construit de la Rivière-Rouge au Saskatchewan, et dix ans après on passera en malle-poste par la Cache de la Tête jaune.


JULES DE LASTEYRIE.