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faire composite dont les partitions de Faust, de Mignon, de Roméo et Juliette portent la marque, et, pour avoir jusqu’à présent moins réussi que M. Gounod et M. Thomas, il s’entend tout aussi bien qu’eux à manier, à nuancer son orchestre, à combiner selon la formule du Meyerbeer avec du Mendelssohn. Ce qui pourtant lui appartient en propre dans cette partition nouvelle, c’est le brindisi que chante la fiancée morte en offrant la coupe à son amant. L’accent mélodique et passionné vibre en ces quelques mesures, qui sont la vraie contre-partie, et non moins inspirée, de l’hymne de Galatée. Contre-partie, je disais bien. En effet dans Galatée la vie boit à la mort, qu’elle anime et féconde ; ici au contraire, c’est la mort qui de son côté attire la vie. — Mlle Mauduit enlève ces couplets très, vaillamment. Pour la première fois que la jeune cantatrice crée un rôle, on ne pouvait mieux réussir. Encore est-ce non pas un rôle, mais deux qu’elle joue, car à l’Opéra la fiancée de Corinthe se dédouble. Nous avons affaire à deux sœurs également charmantes, également énamourées du beau Lysis. Chloé, Dafné, Lysis, pourquoi ces noms d’églogue en pareil chapitre ? Des deux filles du pêcheur Polus, l’une Dafné, fiancée à Lysis, glissé d’un rocher et se noie :

Elle est au sein des flots, la belle Tarentine ;


l’autre, Chloé, tout en pleurant sa sœur chérie, travaille à lui succéder dans le cœur du jeune homme, et c’est pour couper court à ce petit manège, d’ailleurs fort innocent, que la fiancée de Corinthe revient de l’autre monde, ce qui donne à son apparition, immédiatement suivie de la mort du jeune homme, quelque chose d’atroce et d’anti-dramatique ; car, somme toute, on ne s’intéresse à personne en cette action, pas même à ce vieux pêcheur pleurard et auvergnat qui renie la mer, où sont les sardines et les crevettes qui le font vivre, et ne parle jamais que de s’en aller sur la montagne parmi les pasteurs ! — Mlle Mauduit représente donc les deux sœurs, la vivante et la morte ; mais évidemment ses prédilections inclinent toutes du côté de la morte. Quand je l’ai vue, au lever du rideau, soupirer son élégie et tourner ses fuseaux en Cendrillon de vase étrusque, j’ai craint d’abord quelque mésaventure. Heureusement j’avais compté sans le vampire. Cette scène fantastique a tout sauvé. Sous ce flot de lumière électrique, svelte, charmante, bien drapée, sa couronne d’algues marines dans les cheveux, elle a dit le brindisi des fiançailles de sa belle et chaude voix d’Alice dans Robert et joué en cantatrice désormais sûre de son avenir.

La même soirée montrait au public la reprise du Corsaire, un ballet de date ancienne, mais rajusté, rhabillé, requinqué, splendide et tout battant neuf de décors, de soie et de paillons. Ce vaisseau, plein d’ivresses bachiques et autres où les uscoques de Byron boivent le vin de Chypre du pacha aux bras de ses esclaves favorites, ce vaisseau, jadis si fameux, s’était, on le sait, englouti dans l’incendie qui dévora, il y a quelques années, le matériel de la rue Richer. L’administration l’a reconstruit et remis à flot, mieux appareillé et mieux pourvu que jamais d’une riche cargaison de bayadères. Un tel spectacle ne se peut voir qu’à l’Opéra. On ne cesse de nous parler des féeries du boulevard. Il conviendrait