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en zigzag, s’écartant à droite pour revenir à gauche, avançant pour reculer. Ils ne vont pas loin toutefois sans rencontrer une crevasse ; si elle est assez grande, ils s’y engouffrent et restent pris entre les parois ; puis, le glacier fondant toujours, au bout de quelques semaines, de quelques mois ou de quelques étés, ils reparaissent à la surface et recommencent à tabler, jusqu’à ce qu’ils tombent dans une nouvelle crevasse. Ces aventures se continuent indéfiniment, car une fois qu’ils ont quitté les rangs, ils ont peu de chances d’y rentrer : la moraine chemine en talus, et c’est tant pis pour les déserteurs.

Sauf quelques lichens, on ne rencontre aucune végétation sur ces pierres mobiles. La moraine est déserte. Le glacier l’est-il aussi ? A première vue, on le croirait peuplé seulement de cadavres : ici un papillon, ailleurs une mouche ou tel autre insecte. Dans la plaine, on rencontre peu de cadavres d’animaux. La vie s’y entretient de ses propres dépouilles, et partout abondent les insectes voraces, armés de pinces et de crocs, qui font la chasse aux morts. Le papillon qui tombe épuisé sur le bord de la route a le temps de voir, avant de mourir, s’il sera la proie des fourmis ou des carabes ; mais chasseurs et victimes ne s’aventurent sur le glacier que pour y tomber d’engourdissement ou de lassitude, et ils y dorment les uns auprès des autres, garantis de la corruption par le froid linceul qui les entoure. Ils s’incrustent dans la glace, et s’y creusent une fosse en forme d’entonnoir, de la même manière que les petits débris. Il n’est point rare d’en trouver en telle quantité qu’il suffirait de quelques heures pour faire une riche collection des insectes ailés qui habitent les vallées avoisinantes. Le glacier est un cimetière.

En recherchant les corps morts, on soulèvera peut-être quelque dalle pour voir ce qu’elle recouvre. Regardons bien, car c’est là qu’il y a chance de découvrir trace de vie. Chose curieuse, le glacier, qui est rebelle à toute végétation, a pourtant une faune mais une faune qui ne se compose que d’une seule espèce, presque microscopique. Ce sont de petits insectes qui sautent fort bien : aussi les a-t-on nommés les puces du glacier ; noirs et brillans, ils ont comme des écailles sur le dos et des antennes relativement assez longues. Ils sont d’ailleurs si petits qu’ils s’insinuent dans les moindres fissures de la glace, et y trouvent des routes invisibles, très suffisantes pour eux. Il semble difficile qu’ils y fassent la chasse à quoi que ce soit ; ils ont tout l’air de vivre de l’eau du glacier ; peut-être, avec leurs fins organes, y trouvent-ils encore des atomes cachés de substance organique. Qui sait d’ailleurs s’il n’y a pas des habitans inconnus dans la glace elle-même ou dans les neiges des hauteurs ? On connaît la neige rouge. Elle n’est pas particulière aux glaciers ; on la